Catalogue OAI du consortium CAHIER

Desanti, Jean-Toussaint (1914-2002)

Théorie des fonctions de variables réelles. Projet d’introduction (suite)

Wittmann, David (édition)
Institut Desanti, ENS de Lyon
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Théorie des fonctions de variables réelles. Projet d’introduction (suite) simple, ou un rapport simple entre natures simples. Cela n’est pas vrai au niveau du monde physique car la nature ignore les natures simples. Mais cela n’est pas vrai non plus au niveau plus abstrait auquel se situent les mathématiques. Car ici « l’objet donné » n’a de contenu que par rapport au système des objets qui servent à le définir, à la structure du domaine au sein duquel cette définition est possible, aux règles qui permettent de dominer cette structure. Si bien qu’ici l’essence n’est pas ce qui est donné dans l’intuition ; elle est au delà, dans la liaison des objets au sein de leur domaine. Et c’est seulement en tant que tel objet est saisi comme expressif des liaisons internes qui constituent la structure de son domaine que son essence (c'est-à-dire la forme explicite de ce rapport) peut être pensée comme lui appartenant immédiatement. Mais si l’intuition n’est pas l’acte constitutif de la vérité, si l’objet de l’intuition n’est pas une essence manifestée dans sa singularité donnée, alors le problème se pose de savoir ce que signifie l’apparition de l’intuition comme moment du processus de la connaissance. Car il reste qu’elle apparaît et qu’elle joue un rôle dans l’élaboration des théories mathématiques. C’est seulement sur le fond d’évidences acquises que fut possible le progrès vers la rigueur. Il a fallu arriver à la maîtrise des systèmes de relations entre objets mathématiques, être capable de dominer du regard de « longues chaînes de raisons », pour qu’apparaisse dans toute sa généralité la loi de ces relations. La sensibilité aux problèmes nouveaux, la conscience d’avoir à bouleverser les vieilles structures et à mettre au jour une nouvelle ordonnance, tout cela est en grande partie déterminé par la capacité du chercheur à dominer de grands ensembles et à saisir, dans sa démarche immédiate, la richesse de ses objets. Comment l’immédiat se développe-t-il au sein des médiations qui lui donnent naissance et qui demeurent son contenu ? Comment de nouveau se déploie-t-il en système de médiations ? Comment, au cours de ce développement, le contenu qui est la richesse donnée dans l’objet parvient-il à la clarté de la loi ? Ces problèmes concernent la constitution de la vérité. Mais ils se posent particulièrement dans les mathématiques et donnent lieu à des problèmes spécifiques. Considérons par exemple l’ensemble des nombres compris entre zéro et un. Cet ensemble paraît parfaitement spécifié dans le moment même où il est donné, à tel point qu’il semble tout entier saisi dans un acte d’intuition. Il suffit de savoir que 1 est supérieur à 0 pour avoir, par là-même, la notion des nombres compris entre zéro et un. C’est là, dira-t-on, un savoir immédiat ; et il se présente effectivement comme tel. Or cherchons ce qui se cache au fond de cette immédiateté. Il y a d’abord la simple conscience du fait que 0 et 1 sont bornes de l’ensemble. Mais cette simple conscience implique que j’aie [saisi les éléments de l’ensemble à l’intérieur d’un domaine caractérisé par une loi < donnée ?> et que cette loi retentisse, en le délimitant sur l’ensemble lui-même]. Cela veut dire que, dans le domaine de coexistence où ils sont posés, les éléments de l’ensemble ne sont pas indifférents à toute structure. L’appartenance d’un élément à l’ensemble est déjà posée à l’intérieur d’un champ de possibilités bien délimité. Je sais d’avance que 2, par exemple, n’appartient pas à l’ensemble. Encore faut-il, pour cela, que j’aie défini une relation d’ordre sur l’ensemble des nombres entiers. Quel est donc l’objet qui est effectivement pensée sous cette « intuition » ? Il n’est, on le voit, rien de simple, rien d’immédiatement donné : il n’est pensé que dans un système de liaisons au sein desquelles peut seulement prendre sens l’idée d’appartenance d’un élément à l’ensemble. La conscience immédiate que j’ai de l’ensemble (0, 1) est ici le produit des médiations par lesquelles se sont constituées ces liaisons (en particulier la relation d’ordre). C’est pour cette raison que l’ensemble est donné à la fois comme spécifié et inépuisable : car son contenu, dans les limites posées par le fait qu’il est borné et par la relation d’ordre qui permet de définir ces bornes, est déterminé et enrichi au fur et à mesure que je suis capable de définir, entre ses éléments, des relations nouvelles. En ce sens on pourrait dire de cet ensemble qu’il est plus riche pour Cantor qu’il ne l’était, par exemple, pour Euclide. Or cela ne veut pas dire que sa nature ait changé depuis Euclide. Car dès l’instant où l’on savait manier les nombres fractionnaires, dès l’instant où l’on savait définir un segment égal à l’unité, dès cet instant, l’intervalle (0, 1) était parfaitement spécifié. Cela veut dire que les opérations qui permettaient de le définir contenaient beaucoup plus que le laissait prévoir l’intuition première dans laquelle elles étaient saisies. Ce qui montre que l’objet présenté dans l’intuition avait un contenu plu riche que celui manifesté par l’intuition. Ici on touche du doigt la nature des problèmes que pose le développement des mathématiques. Pour parvenir à l’intuition de (0, 1) comme d’un ensemble spécifié il a fallu dominer tout un système de médiations. Pour dominer un tel système il a fallu s’élever jusqu’à l’abstraction de la loi, il a fallu concevoir, au moins, d’une manière claire et explicitement formulable, la relation d’ordre caractéristique des nombres entiers. Mais l’abstraction de la loi à laquelle on parvenait ainsi ne restait pas vide de contenu ; elle n’était pas un autre objet, posé à côté de ceux qui lui avaient donné naissance, et privée de tout rapport substantiel avec eux. Elle concernait proprement ces objets et était expressive de leurs rapports. C’est pourquoi le contenu de l’objet « donné » dans l’intuition à laquelle on était parvenu s’est enrichi au fur et à mesure que ce sont précisées les modalités de l’abstraction. Plus les règles qui permettaient de dominer les systèmes de liaisons caractéristiques du champ des objets saisis dans l’intuition devenaient l’objet d’une conscience explicite, plus on devenait capable d’entrer profondément dans le contenu de ces objets et plus se déployait, dans sa richesse, l’objet primitivement délimité. Examinons, par exemple, le raisonnement, aujourd’hui classique depuis Cantor, par lequel on démontre que l’ensemble (0, 1) possède la puissance du continu. Sans aucun doute un tel théorème constitue un pas en avant dans la détermination du contenu de l’ensemble. Bien plus, on pourrait dire qu’il met en évidence quelque chose de sa constitution intime. Non seulement il montre que l’intervalle (0, 1) contient d’autres points que les points d’abscisse rationnelle ; mais il montre que, si l’on voulait numéroter tous les points d’abscisse comprise entre zéro et un, le système des nombres entiers n’y suffirait pas. Or la mise en évidence de ce contenu, c'est-à-dire proprement le déploiement de la richesse comprise dans cet ensemble, a exigé un double effort d’abstraction. Il a d’abord fallu isoler la notion de puissance. Car comment numéroter les points du segment (0, 1) si on ne les confronte pas avec un ensemble de base déjà numéroté ? Considérer comme déjà numéroté l’ensemble des nombres entiers, cela impliquait aussi une démarche d’abstraction. Jamais personne n’a effectivement numéroté tous les nombres entiers. Il fallait donc s’élever à une loi fondamentale constitutive de la suite des entiers, à un principe inductif destiné à préciser le sens du concept de la totalité des entiers : c'est-à-dire définir dans la classe des entiers un premier élément et définir une sous-classe de cette classe qui contienne un élément successeur de tous ses éléments et le premier élément de la classe. Cette sous-classe est alors, par définition, la totalité des entiers. Mais une fois définie la totalité des entiers comme ensemble inductif énumérable il fallait trouver un moyen de confronter avec cet ensemble un ensemble quelconque. Pour cela il fallut s’élever à la notion générale de puissance. L’opération de mise en correspondance biunivoque des collections finies était, depuis l’origine, la base même du dénombrement. S’élever à la notion générale de puissance c’était dégager le principe de l’opération, voir qu’il impliquait, comme le fit remarquer Cantor, l’abstraction de l’ordre des éléments et celui de leur nature. Ce qui veut dire, si l’on dépouille cette notion de puissance de toute métaphysique, que la seule propriété qui demeure dans une collection finie ou infinie une fois que je laisse de côté l’ordre de ses éléments et leur nature, c’est la possibilité pour ces éléments d’être mis en correspondance avec les éléments d’une autre collection. Dans le cas où cette correspondance est univoque et réciproque je dirai que les deux collections ont même puissance. Ainsi sans cette double abstraction, l’une permettant de penser l’ensemble des entiers, comme totalité définie et énumérable, l’autre permettant de penser l’égalité des puissances, il eût été impossible d’entrer dans le contenu de l’ensemble (0, 1) et de préciser sa constitution. Après cela il suffisait de se donner dans l’intervalle (0, 1) une suite dénombrable de points, de définir sur cette suite une relation d’ordre en posant par exemple un<un+1 et de montrer qu’il existe dans (0, 1) des points qui ne font pas partie de l’ensemble des un. En quoi, au cours du raisonnement précise-t-on la constitution de l’ensemble (0, 1) ? Que signifie cette idée que sa puissance est celle du continu ? Cela veut-il dire simplement que sa puissance est supérieure à celle du dénombrable ? Une telle conclusion, purement négative, serait insuffisante. Car rien, a priori, ne permet d’affirmer qu’il n’existe pas de puissance intermédiaire entre le dénombrable et le continu. Il faut d’abord montrer comment on peut atteindre sur (0, 1) des points n’appartenant pas à la suite un. C’est pourquoi le moment décisif de la démonstration est celui où l’on construit dans l’ensemble dénombrable un une suite infinie croissante bornée supérieurement. Cette suite tend vers une limite fixe. Cette limite n’appartient pas à l’ensemble des un. Comme le fait remarquer M. Borel (Cf. Leçons sur la théorie des fonctions p.15) c’est là une « conséquence de la définition des nombres incommensurables et, à quelque point de vue que l’on se place, elle postule la notion du continu ». Montrer que l’ensemble (0, 1) possède la puissance du continu, c’est donc en définitive, mettre en évidence, sur cet ensemble, un procédé permettant d’approcher d’aussi près que l’on voudra un nombre irrationnel, à l’aide d’une suite dénombrable croissante et bornée. En somme toute la démarche de la pensée consiste à reconnaître d’abord que, si je considère sur (0, 1) un ensemble dénombrable quelconque, cet ensemble comporte des lacunes. Elle consiste ensuite à voir que la loi même qui me permet de construire une suite dénombrable donne le moyen de combler ces lacunes. A toute suite infinie dénombrable et bornée sur (0, 1) correspondra un point de (0, 1) n’appartenant pas à cette suite. Et comme il existe sur (0, 1) une infinité de telles suites, il existera une infinité de tels points. Ici le pas décisif est accompli dès l’instant où l’on est capable de montrer qu’il existe au moins un de ces points, c'est-à-dire, dès l’instant où l’on est en mesure de démontrer que toute suite infinie, monotone et bornée possède au moins un point limite. Or on sait que ce théorème suppose toute l’axiomatique des nombres réels. Dès lors on voit apparaître encore, dès l’instant où l’on veut atteindre sur (0, 1) des points d’abscisse non rationnelle, la nécessité d’un nouvel effort d’abstraction. C’est le système des nombres réels qu’il faut maintenant apprendre à dominer et à construire, sans contradiction ni cercle vicieux. On sait tout ce que l’entreprise a couté de peine et de discussions depuis Dedekind. Ainsi, on voit sur cet exemple se vérifier cette idée : la précision apportée dans le contenu, la détermination de la richesse présentée dans une intuition première, ont été atteintes en tournant le dos à l’intuition, en brisant le cadre de l’objet primitivement donné, en le plongeant pour ainsi dire dans le système des lois qui définissent la connexion de ses éléments constitutifs. Au cours de ce mouvement une première totalité intuitive est brisée. Mais l’acte qui la brise est celui qui permet d’enter dans le contenu de l’objet et de s’élever à la loi qui le domine. Une nouvelle totalité intuitive, produite dans cette médiation, vient alors à la vie et à son tour est brisée pour montrer sa loi. Chaque fois, c’est l’objet donné au point de départ qui est saisi dans son mouvement propre et dans son processus de constitution. Ce qui vient d’être dit, à titre d’illustration, de l’intervalle (0, 1) pourrait être repris sur d’autres objets mathématiques. Que l’on songe, par exemple, à l’histoire de la notion de courbe. On verrait comment de Descartes à Jordan (pour fixer des limites dans le temps) a été exprimé, dans ce mouvement de dépassement de l’intuition donnée vers l’abstraction de la loi, tout le sens contenu dans cette opération en apparence simple : établir une correspondance entre un système de nombres et un système de points. Le problème se pose alors de déterminer la nature du lien entre le système des règles formelles et le contenu des objets que l’élaboration et le maniement de ces règles permettent de définir. Ce problème est proprement celui de la structure des objets mathématiques et il rejoint les problèmes énoncés au §4 et 5. Si le chemin de l’abstraction permet d’entrer dans le contenu des objets il convient de s’interroger sur le mode de constitution de ces objets eux-mêmes, de déterminer la nature de la liaison qui se manifeste entre les structures individualisées qu’on peut y définir et les lois qui permettent la définition dans le champ bien délimité de ces objets. En quoi les lois formelle qui me permettent d’attribuer à (0, 1) la puissance du continu me permettent-elles en même temps de désigner sur (0, 1) le mode de construction d’un nombre réel? Comment est possible, à partir d’une totalité intuitive donnée, la mise en évidence, au sein de cette totalité, et par son éclatement, de structures individualisées ? Que signifie et comment se fonde, au cours de ce développement, l’identité < ??> domaine dans lequel ces structures existent dans leurs connexions ? Et qu’est-ce que cet éclatement de la totalité première, qui, loin de détruire l’objet, le restitue dans sa richesse et montre la loi de son contenu ? Tels sont quelques uns des problèmes que nous rencontrerons chemin faisant. Notre objet n’est pas de les aborder en eux-mêmes, ni d’une manière systématique. Nous voulions simplement les énoncer en commençant pour mieux souligner à quelles sortes de difficultés on se heurte lorsqu’on entreprend l’histoire d’une théorie mathématique et plus généralement l’histoire de la science.Sur ce point quelques observations préalables apparaitront encore nécessaires à propos de la méthode qui sera <utilisée> au cours de ce travail.Section II : Quelques remarques de méthodeIl ne saurait être question pour nous de prétendre mettre sur pied une histoire exhaustive de la théorie des fonctions de variables réelles. A l’étape atteinte aujourd’hui par le développement de la théorie une telle tâche excède sans doute les forces d’un seul homme et, en tout cas, les nôtres. La théorie se trouve au point de convergence de techniques différentes. Le chercheur isolé qui entreprendrait d’en décrire tout le développement devrait non seulement dominer l’ensemble de l’analyse classique, mais encore la théorie des ensembles, la topologie générale, et aussi, pour part, dès qu’il s’agit d’étudier les extensions des opérations aux espaces abstraits, l’algèbre moderne (cf. par exemple l’ouvrage de Hille, Functional Analysis and semi-groups ). Nous n’étonnerons personne en avouant que, pour notre part, nous sommes très loin du compte. Ainsi notre objet sera-t-il plus modeste. Nous voudrions simplement, par l’examen de quelques uns des moments significatifs du développement de la théorie, contribuer à mettre en évidence la genèse de se rigueur. Nous pensons que, même ainsi limitée, une telle tentative n’est pas privée de portée générale et qu’elle est susceptible d’atteindre à la vérité. Mais cette prétention demande à être fondée.Comment choisir ces moments significatifs ? Découper, dans le devenir historique, quelques fragments et les isoler n’est-ce point arbitraire ? Et si on veut échapper à l’arbitraire, n’est pas supposer déjà achevée, tracée dans ses principaux dessins, le mouvement que l’on se propre de décrire.Ce problème n’est pas particulier à l’histoire des sciences. Il se pose dans l’histoire des idées et en général dans l’histoire des œuvres humaines. Que signifie rechercher ce qui du passé demeure significatif ? Que signifie isoler, définir et déployer les moments essentiels et proprement constitutifs d’un devenir historique ?C’est un point qu’il importe d’élucider en commençant, car la méthode dépend ici aussi très étroitement de la manière dont on conçoit la nature du processus de l’histoire.Remarques sur le temps et l’histoire§1. Puisque c’est au passé que nous avons à faire avant tout, remarquons d’abord qu’il n’y a de passé que de monde-ci, qui est là maintenant devant moi et dans lequel, historien ou philosophe je vis parmi d’autres hommes. Or ce monde n’est pas immobile sous mes yeux. Lui-même est en train de se produire. Mais ce mouvement de production n’est pas un commencement absolu qui surgirait du seul présent. La vie du présent est tout autant celle du passé : elle est celle du présent qu’était le passé, mais d’un présent déjà devenu. Elle contient tout ce que cet ancien présent est devenu. C’est donc en tant que produit et exprimant ce qui fut Pour éviter de poser ce problème dans l’abstrait, attachons nous à la théorie qui fait l’objet de nos recherches. Que signifie, pour elle, exister dans l’histoire ?§1. Cela veut dire sans doute, avant tout, qu’elle se développe maintenant sous nos yeux et qu’aucun chercheur ne peut travailler à la théorie s’il n’établit le bilan des problèmes résolus et de ceux qui restent à résoudre. L’état présent de la théorie n’est pas donné en soi comme un objet éternel : il est constitué par le rapport entre le passé et l’avenir de la théorie ; il est un moment de son progrès. C’est là un point qui peut paraître évident. Mais il importe de réfléchir à la signification de cette évidence, car son contenu n’est pas simple. Le mouvement qui va de l’avant et détermine l’avenir de la théorie n’est pas un mouvement linéaire. Il est en même temps un retour vers le passé de la théorie et une reprise des méthodes et des objets déjà élaborés dans le passé. Au cours de ce retour il arrive que certaines de ces méthodes et certains de ces objets soient négligés comme définitivement acquis. En revanche il en est d’autres dont il est nécessaire de s’emparer si l’on veut aller plus loin dans la théorie. Ainsi aujourd’hui il n’est plus de chercheur qui trouve sur son chemin Barrow, Fermat ou Newton. En revanche il ne peut avance sans avoir, d’une manière où d’une autre, directement ou indirectement, à s’expliquer avec l’œuvre de Cantor ou de Dedekind. Ce qui est vrai aujourd’hui fut vrai dans le passé : Lagrange ne s’est guère expliqué avec Euclide : mais il eût à faire à Newton (cf. par exemple l’introduction à sa Théorie des fonctions analytiques, dans laquelle il critique l’idée newtonienne de fluxion). D’autre part l’avenir de la théorie n’est pas absolument déterminable dans tout son contenu à partir de l’état présent. Cela tient au fait que cet avenir est constitué des problèmes non encore résolus et qu’on ne peut déterminer d’avance quels problèmes nouveaux se poseront une fois qu’on aura résolu ceux qui, maintenant, se posent. Et là, aussi, ce qui est vrai du présent, fut vrai dans le passé. Le développement moderne de la théorie des séries trigonométriques, par exemple, était imprévisible au moment même où Euler, étudiant l’équation des cordes vibrantes, posait les premières pierres de la théorie. En revanche il était prévisible, déjà du temps d’Euler, que l’extension formelle du calcul ne pourrait se poursuivre indéfiniment sans que se révèle < ?> nécessaire l’examen du champ de validité des opérations. Et il était prévisible que l’étude de la représentation d’une fonction arbitraire par un développement en série jouerait un grand rôle dans cet examen. On voit ainsi quel contenu on peut donner à cette idée qu’une théorie existe dans l’histoire. Cela veut dire que son état présent est fait de la relation entre le passé et l’avenir de la théorie : en même temps que l’avenir se dessine, se précise ce qui, du passé, est retenu et investi dans le mouvement en avant. A chaque moment on peut dire que c’est le poids du passé qui porte la théorie en avant. Mais au cours de ce mouvement le sens du passé s’éclaire au fur et à mesure que ses éléments sont repris et utilisés dans la détermination d’objets nouveaux et de méthodes nouvelles. De là vient que le passé n’est pas mort, enfoui à jamais dans la nuit, ni l’avenir indéterminé. Car l’état présent de la théorie est, à chaque moment, constitué par le champ des problèmes qu’on peut définir ou atteindre à l’aide des instruments constitués dans le passé. Le présent de la théorie, pris dans son contenu (et non pas dans la pure détermination vide qui le fait apparaître comme simple instant de passage) est tout autant l’avenir vivant de la théorie que son passé vivant. C’est pourquoi chaque moment dans l’évolution de la théorie apporte sa propre vision du passé de la théorie, son optique particulière. Mais c’est pourquoi aussi cette optique n’est pas arbitraire : elle exprime l’état présent de la théorie et elle est elle-même le produit de toute l’évolution historique. Le point de vue qu’o un moment donné les chercheurs ont sur l’histoire de leur théorie, ce qu’ils retiennent du passé, ce qu’ils en ignorent, tout cela est aussi le produit de l’histoire de leur théorie.§2. De cette remarque très simple résulte une conséquence méthodologique importante. C’est que lorsqu’on essaye de mettre en évidence le devenir d’une théorie, il importe d’abord, pour une période donnée, de préciser le contenu du passé vivant et de l’avenir vivant de cette théorie : voir quels sont les éléments du passé qui sont immédiatement actualisables et la manière dont ils se modifient au contact des problèmes que cette modification engendre. Déterminer d’abord le mode d’organisation historique des objets des problèmes et des méthodes pris à un moment donné du développement de la théorie : tel doit être à notre avis le point de départ de la recherche. Par un mode d’organisation historique, nous entendons la liaison, au sein de la théorie, entre l’ancien et le nouveau. Cette liaison apparaît à la fois dans les objets de la théorie, dans ses problèmes, dans ses méthodes. Considérons par exemple un traité récent de la théorie de la Théorie des Fonctions de Variables Réelles : celui de Lawrence M. Graves (The Theory of Functions of Real Variables, New-York et Londres, 1946). L’architecture même de l’ouvrage est un témoignage de la situation historique de la théorie. Au point de départ une introduction logique explicite les premiers concepts, et les premières opérations de la logique symbolique. Il n’est pas question de fonctions de variables réelles avant le chapitre IV. Les trois premiers chapitres sont occupés par l’exposé des notions de bases préalables à l’édification de la théorie : notions logique (chapitre 1) ; construction du système des nombres réels (chapitre 2) ; premiers éléments de la théorie des ensembles de points (chapitre 3). Il est clair que quelqu’un qui ignorerait complètement la logique symbolique aurait peine à se reconnaître dans un pareil exposé. A plus forte raison. <Il est> clair qu’un analyste du temps de Joseph Bertrand, ou même de Jordan, risquerait de s’y trouver fort dépaysé, aurait bien de la peine à se retrouver dans un pareil exposé. Quelqu’un qui aurait lu J. Tannery (Introduction à la théorie des fonctions d’une variable, 2e édition) pourrait, en revanche, au langage près, accéder à la plupart des raisonnements. Mais d’autre part, s’il ignorait tout des tentatives de Russell et de Peano pour dégager l’axiom<atique> des nombres entiers, il risquerait fort de se trouver dépaysé par la méthode d’exposition du Traité de Graves, bien qu’il puisse comp<rendre> le sens des notions et les démarches du raisonnement. Cela veut dire au fond que l’époque de J. Bertrand (en ce qui concerne la théorie des fonctions) se trouve séparée de la notre par une coupure ; mais qu’au contraire le Traité de Tannery et celui de Graves appartiennent à la même totalité historique. L’utilisation de la théorie des ensembles issue de Cantor, modifie profondément la nature des raisonnements et les habitudes de <raisonnement>, alors que l’emploi du symbolisme logique, issu de Péano, n’affecte guère que <la> formulation des théorèmes. <Que ?> le Traité de Graves et l’Introduction de <Tannery> appartiennent à la même totalité historique signifie avant tout que les concepts fondamentaux et les méthodes s’articulent d’une manière explicite les uns aux autres à travers le temps. Cela veut dire que les découvertes de Cantor continuent encore aujourd’hui à dominer <l’analyse ?> et que la fécondité des concepts <érigés ?> sur la base de ces découvertes n’est pas encore épuisée, autrement dit que nous vivons encore dans le champ des problèmes qui fut ouvert à la fin du siècle dernier. C’est ainsi qu’un jeune mathématicien, qui, en fait d’analyse ne connaitrait que la première édition du Traité de Jordan, serait contraint de refaire son éducation par la base avant d’aborder un Traité moderne. Au contraire celui qui connaitrait l’Introduction de Tannery et les premières monographies de M. Borel, n’aurait plus à recommencer son éducation, mais simplement à la poursuivre. Mettre en évidence de telles totalités historiques c’est, à nos yeux, la tache préalable qui s’impose à tout historien des sciences, s’il veut pénétrer dans le devenir réel de la connaissance et rendre un jour possible la présentation de sa genèse. La méthode peut consister ici, il nous semble, à partir des objets et des concepts caractéristiques d’une théorie à un moment donné de son évolution. Peu importe ce moment. Au point de départ aucun n’est privilégié. L’essentiel est d’être en mesure de déterminer le profil historique de ce moment. D’abord mettre en évidence, à ce moment, <la> connexion des objets de la théorie (caractériser ainsi son état présent) et le champ des problèmes qui ouvrent la théorie sur son avenir immédiat. Ensuite, sans jamais perdre de vue <l’avenir ?> de la théorie ni le sens de son progrès tel que l’a révélé l’analyse, s’efforcer d’isoler, dans la théorie les concepts fondamentaux, les objets les plus riches de problèmes, ceux dont dépendant, à la fois, l’architecture de la théorie à un moment donné et son mouvement. Alors <seulement> s’emparer de chacun de ces objets de ces <concepts ?> et en s’en servant comme d’un fil, suivre chacun en remontant vers le passé. Poursuivre ainsi cette régression jusqu’au moment où l’on voit qu’il est impossible de maintenir encore, entre ces objets et ces concepts, la connexion qu’on avait dégagée au point de départ. Arriver en somme au moment du passé où les objets et les concepts apparaissent avec un sens différent, solidaires d’un domaine différent, renvoyant à des problèmes différents de ceux dont on était parti. C’est dès l’instant où on est arrivé à ce moment du passé qu’il est possible de dire que l’on connaît le profil historique de la théorie, prise à une étape arbitraire de son développement. Dès cet instant, ce qui paraissait arbitraire au point de départ, cesse de l’être au point d’arrivée. Car lorsque ce moment du passé est mis en évidence il se <présente ?> comme le commencement, comme le point d’où il faut partir pour comprendre la genèse de tout ce qui a suivi. Dès lors ce qui aura été déterminé comme constituant le profil historique de ce moment arbitraire d’où on était parti se montrera comme un moment nécessaire du développement de la théorie. Considérons par exemple la théorie de l’Intégration. Choisissons arbitrairement un moment de son évolution : soit le Mémoire de Lebesgue de 1910 intitulé « Sur l’Intégration des Fonctions discontinues » (Annales de l’Ecole Normale Supérieure, 3e série, tome 27, p.362-460). L’objet du mémoire est d’étendre aux fonctions de plusieurs variables, les résultats, déjà obtenus par Lebesgue, dans le cas des fonctions d’une variable. En particulier de rechercher à quelles conditions une fonction Fx1,x2… peut être l’intégrale indéfinie d’une fonction inconnue fx1,x2…. Au premier abord on se dit que poser un tel problème c’est renouer avec une vieille tradition de l’analyse. Dès le XVIIIe siècle en effet Euler, Legendre, Lagrange se sont souciés d’étendre aux fonctions de plusieurs variables les opérations du calcul infinitésimal. Et au cours du XIXe siècle, Cauchy, Riemann, Green (entre autres) avaient contribué à constituer une théorie des intégrales multiples. Et de fait c’est sur le fond des résultats ainsi obtenus que se détachent les travaux de Lebesgue : pour que ces travaux apparaissent il fallait qu’on ait appris à manier, dans le cas des fonctions de plusieurs variables, les opérations du calcul intégral. D’autre part, si l’on considère que Lebesgue pose son problème dans le cas où fx1,x2… est quelconque (c'est-à-dire, au moins, non nécessairement continue), on se dit que, là aussi, il renoue avec une tradition déjà ancienne, puisqu’elle date de Cauchy. Et en remontant vers le passé il est facile de suivre la filière, à travers Darboux, Riemann, Dirichlet (pour nous borner à marquer quelques étapes dans l’histoire de l’intégration des fonctions discontinues). Pourtant il suffit d’une lecture du mémoire de 1910 pour percevoir à quel point Lebesgue se sépare de cette tradition avec laquelle il renoue cependant, à quel degré le point de vue de ces prédécesseurs apparaît archaïque, et pourrait-on dire, préhistorique, par rapport au sien. On le verrait en comparant son mémoire à celui que Darboux, en 1975, a consacré à l’intégration des fonctions discontinues (Annales Mathématiques de l’Ecole Normale Supérieure, pp.57-112). Darboux reste dans le champ des problèmes posés par Riemann (en particulier dans son mémoire de 1854 sur la « Représentation d’une fonction par une série trigonométrique »). Il approfondit la condition formulée alors par Riemann : pour que fx, qui demeure finie, soit intégrable dans (a, b) il faut et il suffit que la somme totale des intervalles pour lesquels les oscillations de la fonction sont plus grandes qu’un nombre positif , soit inférieure à . A partir de cette condition générale Darboux cherche le moyen de classer les diverses espèces de fonctions discontinues et à déterminer celles qui sont intégrables. Son problème est de chercher à déterminer une classe de fonctions discontinues auxquelles soit applicable la condition de Riemann. Il n’est pas de transformer la condition de Riemann de telle sorte que l’on puisse énoncer une condition d’intégrabilité valable pour toute espèce de fonction discontinue. C’est ainsi que la démonstration du théorème qu’il énonce au paragraphe VI de son mémoire (Toutes les fonctions discontinues telles que pour chaque valeur de x, fx+hetfx−h aient une limite quand h tend vers zéro, sont susceptibles d’intégration) consiste à établir que dans tout intervalle xi+ε,xi−ε l’oscillation de la fonction est inférieure à  lorsque  tend vers zéro. [La précision la plus importante peut-être que contient le mémoire de Darboux est celle qu’il apporte à la notion de fonction continue ? Darboux montre que la définition de Cauchy et la définition traditionnelle que l’on donnait en France des fonctions continues (fonction qui ne passe pas d’une valeur à l’autre sans prendre toutes les valeurs intermédiaires) ne sont pas équivalentes. Il construit des fonctions discontinues au sens de Cauchy et possédant la deuxième propriété (par exemple la fonction fx=sin1x pour x≠0 et prenant toute valeur de l’intervalle −1,+1 pour x=0)]. Le point de vue relativement restreint auquel se place ici Darboux s’explique sans doute parce que les moyens d’analyser la discontinuité manquent encore. Certes, il est possible de construire des exemples de fonctions discontinues et même (ainsi que le fait Darboux) de fonctions discontinues dans toute intervalle. Mais quel rôle jouent les points de discontinuité ? Quelles sont les différentes manières dont ces points de discontinuité sont susceptibles d’être distribués dans l’intervalle de variation de la fonction ? Pour aborder de front ces problèmes, et pour une fonction discontinue arbitraire, les instruments techniques manquent encore. En somme on pourrait dire que l’expérience que l’on a des fonctions discontinues, la connaissance que l’on possède de leur contexture, sont encore trop pauvres pour exiger une généralisation de l’intégrale de Riemann. C’est pourquoi les méthodes de Riemann, les conditions formulées par lui, sont encore le point de départ et le moteur de la recherche. C’est avec elles qu’on aborde les fonctions discontinues et d’elles qu’on attend la lumière. Pour cette raison il nous semble fondé de dire que le mémoire de Darboux ne fait pas partie du profil historique du mémoire de Lebesgue, bien que les travaux de Lebesgue aient exigé n’aient été possibles que sur par la systématisation due à Darboux supposent naturellement la validité de résultats obtenus par Darboux.En effet Avec Lebesgue, en effet, on a l’impression conscience de se trouver dans un autre contexte mathématique. Sans nous attarder ici à l’analyse de son mémoire, que nous retrouverons par la suite, remarquons retenons simplement la nature du problème posé et les moyens mis en œuvre pour le résoudre. Le problème est d’étudier la dérivation des intégrales multiples. Mais la formulation du problème se trouve profondément transformée par rapport à la tradition. C’est dans la IVe partie de son mémoire seulement que Lebesgue aborde le problème de la dérivation. Les trois premières parties sont destinées à préciser le sens de la notion d’intégrale (définie, puis indéfinie) d’une fonction de plusieurs variables. C’est dire que l’intégration n’est pas posée d’emblée comme l’opération inverse de la dérivation. Elle est saisie, au point de départ, comme une opération spécifique par laquelle, une fonction f étant définie sur un ensemble E, on attache à cet ensemble un nombre qui soit fonction de cet ensemble. On voit déjà, dès l’énoncé du problème, apparaître les concepts entièrement nouveaux par rapport à Darboux et à Riemann : les concepts d’ensemble et de fonction d’ensembles. Déjà pour Riemann l’intégrale est une fonction du domaine de variation de la fonction à intégrer. Mais pour lui, comme pour Darboux, ce domaine est toujours considéré comme un intervalle (c'est-à-dire un ensemble linéaire de points, borné supérieurement et inférieurement et tel que ses bornes appartiennent à l’ensemble). Un tel domaine. On voit également, dès le point de départ, se préciser le problème. Il y aura lieu, si l’on veut donner un sens à la question de poser aussitôt les deux problèmes suivants : 1°) Quelles doivent être les propriétés de la fonction d’ensembles ? 2°) Quelles doivent être les propriétés de l’ensemble auquel elle est attachée et la fonction définie sur cet ensemble ? On voit aussi, dès le point de départ, la nouveauté dans la manière de poser le problème. On s’interroge sur le champ de validité d’une opération dont on sait par ailleurs qu’elle est possible dans un champ parfaitement déterminé. Et on s’efforce, dès l’origine, et d’une manière explicite, de définir cette opération de telle manière sorte que ce champ soit le plus large possible. On pose solidairement deux sortes de problèmes. 1°) Quelles doivent être les propriétés de la fonction d’ensemble que l’on définit se <propose de ?> définir comme l’intégrale ? Quelles doivent être les propriétés de l’ensemble auquel on attache cette fonction et celles de la fonction définie sur cet ensemble pour que soit possible la construction de cette intégrale de fonction d’ensembles cette intégrale ? L’élément le plus nouveau n’est pas ici le fait de poser le problème de l’intégration pour les fonctions les plus générales. Cette ? ? se Ce souci se trouvait déjà chez Riemann. La nouveauté consiste plutôt dans la modification du champ d’investigation dans lequel on entre pour découvrir les propriétés des fonctions. Ce qui apparaît au grand jour comme domaine de recherche c’est l’ensemble dans sur lequel une fonction est définie. Ni Riemann, ni Darboux n’ont posé d’une manière explicite, et comme un problème demandant à être élucidé en lui-même, la question de savoir qu’elle devait être la nature de cet ensemble pour que soit possible une opération définie sur la fonction. Ils n’éprouvaient aucune inquiétude à ce sujet : pour eux une fonction, continue ou discontinue, était définie sur une totalité de points suffisamment définie par le seul fait qu’elle était bornée. Voici donc une exigence dont il faudrait s’emparer comme d’un fil et remonter vers le passé, depuis le mémoire de Lebesgue, pour déterminer le moment où elle apparaît. Cette démarche constituerait un premier pas dans la connaissance du profil historique de la théorie de Lebesgue. On verrait ainsi s’articuler les problèmes posés par Lebesgue sur ceux posés (et partiellement résolus) par Dini, Volterra, Jordan, du Bois-Reymond. Mais il ne suffirait pas ainsi d’isoler ainsi un élément, et suivre son histoire. Car, remonter vers le passé, oblige à nous arrêter, par exemple, à du Bois-Reymond et à la notion, introduite par lui de « groupe intégrable ». Pourquoi ne pas poursuivre au delà, jusqu’à Bolzano, qui le premier a posé, un des premiers, a posé le problème de la contexture des collections infinies de points ? Il est clair qu’en nous attachant ici à un seul élément de la théorie (quand bien même cet élément consisterait en une exigence fondamentale de la théorie), nous arriverions finalement à faire éclater le devenir de la théorie en une poussière de devenirs partiels, à nous rendre incapable de préciser le moment où elle a vraiment commencé ; nous manquerions ainsi le but proposé : saisir son développement en totalité. Il devient ainsi nécessaire de rechercher quels sont les éléments qui à un moment donné permettent à la théorie de se constituer comme totalité et quelle est leur organisation spécifique au sein de la théorie dans laquelle ils vivent. De ce point de vue le mémoire de 1910 apparaît comme un moment déterminé bien défini dans la constitution de cette totalité la mise en place de cette organisation. A cette date Lebesgue a déjà construit la théorie de la mesure qui porte son nom. Les concepts d’ensemble mesurable et de fonction mesurable constituent la clé de voûte de tout l’édifice de la théorie de l’intégration, le noyau autour duquel son développement va s’organiser. Ils délimitent, pour ainsi dire, le champ d’extension de l’opération « intégration ». C’est un point dont Lebesgue a très nettement conscience puisqu’il écrit au §II de son Mémoire : « Il est pratiquement suffisant de se poser le problème de la mesure pour les seuls ensembles mesurables et le problème d’intégration pour les seules fonctions mesurables, c'est-à-dire celles pour lesquelles, quels que soient a et b, l’ensemble des points en lesquels on a a<fP<b est mesurable ». De même au §12, en définissant l’intégrale définie d’une, en posant le problème d’intégration pour les fonctions mesurables non bornées, il est conduit à définir les fonctions sommables (i.e celles pour lesquelles la série Eiaim∑i=−∞i=+∞ est absolument convergente) et à restreindre à la classe de ces fonctions l’opération d’intégration.« La classe Les fonctions sommables, dit-il, forment une classe bien homogène à propriétés simples et intéressantes, ce qui ne serait plus vrai si on étendait la définition de l’intégrale ». Il y a donc, en un certain sens grand avantage à ne pas élargir davantage la définition de l’intégrale ». Ici apparaissent donc les éléments organisateurs de la théorie, ceux qui permettent de définir, au moment où ils sont précisés, son champ d’extension. En les isolant et en remontant vers le passé pour mettre en évidence leur origine, c’est le cœur de la théorie qu’on isole et c’est son profil historique qui se montre alors. Nous retrouverions dans la suite de ce travail, au chapitre consacré à la genèse de l’intégrale de Lebesgue, les problèmes que nous nous bornons à évoquer ici. Mais ce qui est dit dans cette introduction suffira peut-être à montrer en quoi consiste pour nous la méthode d’accès à l’histoire des sciences et ce que nous entendons par cette première démarche : déterminer le profil historique de la théorie à un moment donné de son évolution. On voit qu’une telle détermination implique l’analyse de l’essence de la théorie, la détermination de ses objets fondamentaux, de leur connexion et de leur mouvement. Le chemin qui remonte vers le passé ne pourra être saisi comme le chemin réel, constitutif du devenir de la théorie que dans la mesure où cette analyse préalable aura, chaque fois, état conduite à son terme.§3  Mettre en lumière le profil historique, cette démarche est indispensable puisqu’elle nous permet de déterminer à quelle totalité historique appartient la théorie. Mais elle reste encore abstraite, car sur cette totalité elle-même, sur son contenu, sur la vie de ses éléments, elle ne nous apprend encore rien. Que savons nous de la constitution de l’intégrale de Lebesgue lorsque nous avons déterminé les éléments du passé sur lesquels elle s’articule et qu’elle actualise ? Peu de choses encore. Nous avons simplement déterminé délimité le champ dans lequel nous aurons à chercher sa naissance et à suivre son développement. Il reste à explorer ce champ pour y découvrir le mouvement effectif qui le constitue et qui a donné naissance à la théorie. De même que nous avons tenté plus haut de préciser ce que nous appelions « profil historique » de la théorie, il nous faut examiner ici ce qu’est le « mouvement effectif » du champ dans lequel la théorie apparaît.§4 L’idée même que l’on se propose de chercher un mouvement « effectif » implique que l’on distingue le concept de ce mouvement en posant son exigence comme essentielle et explicative par rapport au devenir apparent de la théorie. Reprenons par exemple la théorie de l’intégration. Il est relativement aisé de décrire son devenir apparent. Dans son développement on pourrait distinguer trois périodes essentielles. Une période pré-historique 1°) La période de l’antiquité, proprement préhistorique car l’intégration n’y est pas encore conçue comme une opération générale. C’est le moment où Archimède, utilisant comme moyen de démonstration le principe d’exhaustion du à Eudoxe, découvre le moyen de déterminer le volume de la pyramide, l’aire du segment de parabole, l’aire de la spirale etc. du point de vue de la méthode 2°) La période d’élaboration du calcul infinitésimal, du calcul différentiel et du calcul intégral considéré comme son inverse. En l’espace de deux siècles, de Galilée à Lagrange les opérations et les concepts fondamentaux du calcul se trouvent constitués. 3°) La période de généralisation et de précision rigoureuse, inaugurée avec Cauchy et qui se déroule encore sous nos yeux se développe encore sous nos yeux. En reprenant ces trois périodes dans leur succession et en suivant l’évolution des méthodes il serait possible de mettre en évidence un sens de progrès, ainsi qu’un certain enchaînement des idées. Dans l’antiquité les méthodes sont de nature géométrique et spécifiques pour chaque problème. Si on laisse < ?> de côté L’usage du principe d’exhaustion ne constitue pas à cet égard une méthode universelle de découverte : il requiert dans chaque cas une analyse originale de la figure, exigence qui masque, aux yeux d’Archimède, la parenté profonde entre les divers problèmes résolus. C’est ainsi qu’il souligne l’indépendance des problèmes relatifs à la spirale et des problèmes relatifs à la parabole, bien que tous ces problèmes dépendent de l’intégrale ∫x2dx . Dans la seconde période, à partir de Galilée, Kepler et de Cavalieri (et à travers les œuvres de Fermat, Roberval, Huygens, Pascal), on assiste à la constitution du champ opératoire de l’analyse. L’opération d’intégration, le problème d’intégration se dégagent comme problème opération et problèmes communs à des domaines différents. Nous Non seulement l’emploi du calcul algébrique permet conduit à dégager l’opération commune qui permet le calcul des aires, des volumes, et à systématiser ainsi les résultats acquis dans l’antiquité, mais des domaines nouveau se trouvent ajoutés, liés, les uns au développement de la géométrie algébrique, les autres au développement des sciences de la nature. A partir de Leibniz le « Calcul », peut se développer comme un en possession de ses notations fondamentales et de ses thèmes principaux, peut se développer pour une grande part d’une manière autonome en tant qu’instrument universel susceptible d’être investi dans des secteurs différents de la recherche (mécanique rationnelle, géométrie algébrique, physique mathématique). Sans suivre ici tout ce développement, dont nous retrouverons plusieurs aspects dans la suite de ce travail, remarquons que le progrès n’a pas consisté seulement dans un enrichissement du champ de recherche. Il a consisté aussi dans une reprise du passé un effort en vue de le dominer en revenant essayant de ramener à un certain nombre de structures générales les opérations caractéristiques de chaque domaine particulier. C’est cette généralité qui, parce qu’elle permet de reconnaître, à travers des expressions différentes, la même structure analytique, va pouvoir entraîner, à partir de Leibniz, le développement du calcul infinitésimal comme instrument fondamentale et à la fois de la mathématique et de la « philosophie naturelle ». Dès < ?> ce moment Au cours de ce progrès, et à diverses reprises, les mathématiciens se sont ouvertement rattachés au passé et ont eu conscience de reprendre les méthodes d’Archimède. Ce fut le cas pour Fermat et Pascal, au moment où se posait le problème d’établir, le plus rigoureusement possible, les premiers résultats, au moment où il était nécessaire de se demander comment faire admettre des opérations dont la formulation n’était pas encore explicite. Mais ce retour à Archimède était en fait un véritable dépassement : car c’était désormais dans un autre champ de problèmes (géométrie analytique, cinématique dynamique), à l’aide d’autres techniques (calcul algébrique) qu’étaient reprises les méthodes < archim.> et universalisées les méthodes archimédiennes. Il nous sera inutile d’aller plus loin dans l’histoire pour faire apparaître ici l’exigence de chercher à expliquer ce devenir apparent. Car lorsqu’on suit l’histoire de l’intégration on a l’impression le sentiment que les mathématiciens du 17e siècle passent sans inquiétude par dessus près de vingt siècles d’histoire et trouvent dans Archimède leur bien. Ils retrouvent les problèmes au point où Archimède les avait laissés et leurs propres démarches leur semblent parfois balbutiantes eu égard à la perfection atteinte par le Maître. La coupure qui est dans l’histoire n’existait pas pour eux, et si l’on se place du point de vue des démarches explicites de la pensée au niveau des démarches explicites de la pensée, il semble que d’Archimède à Galilée en ce qui concerne et à Kepler (Nova Stereometria doliorum vinariorum 1615) le chemin soit continu. Et pourtant c’est dans un tout autre domaine de recherches, dans un horizon épistémologique et pratique entièrement différent de celui d’Archimède qu’est reprise et enrichie la tradition du syracusain. Il est donc impossible de s’en tenir au seul enchaînement des démarches explicites de la pensée. Cette continuité Cela nous conduirait à supposer dans le développement de la théorie de l’intégration une continuité qui n’a existé que dans l’esprit des chercheurs, à un moment donné de leur recherche. Il est impossible aussi de considérer la théorie de l’intégration comme un « en soi » qui se serait développé par lui-même, par la seule force de sa logique interne. Il est nécessaire de tenir compte de l’évolution de l’horizon technique, pratique et épistémologique, dans lequel s’est développé le calcul, des problèmes susceptibles de surgir dans cet horizon et de leur degré de développement. C’est dès l’instant où on est conduit à montrer la constitution de cet horizon, que se pose la question de mettre en évidence le mouvement effectif qui a donné naissance à la théorie et produit son développement mis au jour la direction de son progrès. Ainsi il ne suffira pas de marquer l’enchaînement des idées d’Archimède à Kepler. Il faudra aussi se demander d’où vient, qu’en son temps, l’effort d’Archimède ait tourné court. Il faudra se demander pourquoi cette coupure de vingt siècles. Il faudra rechercher pourquoi le retour à Archimède devient fructueux à partir du 17e siècle. Il faudra faire effort pour comprendre les raisons de la productivité du calcul, m arquée par le foisonnement des découvertes, pendant ces deux siècles qui séparent Kepler de Lagrange. Or pour répondre à ces questions il est impossible de demeurer à l’intérieur de la théorie de l’Intégration. Il faut mettre en lumière les relations de la théorie avec les techniques qui ont permis de la constituer, et comprendre le mode de développement de ces techniques (par exemple le calcul algébrique, etc.) Ces techniques, à leur tour, il ne suffit pas de les saisir une à une. Il importera de rechercher leur connexion à un moment donné, voir comment, et sous quelles influences, cette connexion se modifie au cours du temps. Mais comme la relation entre ces divers éléments n’est pas donnée de toute éternité, que l’équilibre qui, à un moment donné, permet de caractériser le champ des techniques et des problèmes dans lequel se développe une théorie, se trouve bouleversé au fur et à mesure que ce champ prend naissance et s’enrichit, il est clair qu’il n’existe pas de concepts absolus, de principes « a-historiques » susceptibles de faire rendre compte du devenir d’une théorie. Ou bien, si de tels concepts et de tels principes peuvent être formulés, ils ne consistent qu’en notions vides et en généralités banales. On parlera par exemple du conflit entre la raison et l’expérience ; de l’opposition entre l’intuition et les principes formels ; de la liaison entre les théories et la pratique les pratiques. On pourra même essayer de saisir, à partir de ces rapports, l’origine d’un développement « dialectique ». Mais, en eux-mêmes, ces rapports n’ont aucune valeur d’explication. Leur valeur d’explication, < ?> exprime les relations réelles si tant est qu’elle se manifeste, n’est pas constituée a priori. Elle n’exprime pas les exigences éternelles de la pensée scientifique. Elle exprime bien plutôt les relations réelles, données dans le développement historique de la connaissance, créées avec lui, dont les « principes » ne sont que le produit. C’est pourquoi, à nos yeux, il importe au plus haut point de déterminer les concepts susceptibles de rendre compte d’une théorie et de son développement, à l’aide d’une analyse qui saisisse, dans l’histoire, et pour une période donnée, de chercher quels sont, à un moment donné, les concepts généraux spécifiques de ce moment. Ce qui implique qu’on les cherche au moyen d’une analyse spécifique de ce moment. Faute d’une telle analyse on risquerait d’être conduit à de graves difficultés, à des erreurs irréparables et, souvent, à des problèmes insolubles. Par exemple c’est un problème que l’on pose souvent que celui de savoir si telle théorie les théories mathématiques sont susceptibles d’un développement autonome. Et cependant posé ainsi, d’une manière générale, et pour « les mathématiques », ce problème est privé de sens et ne peut recevoir aucune solution. Car les théories mathématiques ne se développent pas toutes de la même manière, et une même théorie, à divers moments de l’histoire, se développe différemment. Il est clair ainsi que la théorie du Potentiel ne se développe pas de la même manière que la théorie des groupes. La première développée sur le fond a été à la base constituée en contact étroit avec la Physique et la mécanique rationnelle, son développement a été influencé à la fois par le développe progrès de la théorie des surfaces, par les exigences propres de la théorie des équations aux dérivées partielles (problème de Dirichlet) par les diverses extensions que la naissance et la croissance des théories de l’électrostatique et de l’électrodynamique permirent de donner à la notion de champ newtonien (cf. en particulier l’influence des théories sur le magnétisme). Et même une fois élaborée en théorie générale, à travers les recherches de Dirichlet et de Green, elle fit un retour immédiat à la physique mathématique (cf. par exemple l’application des fonctions de Green au problème de la température stationnaire, et à divers problème de thermodynamique. Les exigences propres à ces divers domaines retentissent ici dans au sein du devenir de la théorie à tel point que l’histoire de la théorie du potentiel se confond avec l’hist et conditionnent assez étroitement son progrès. Et si l’on voulait chercher à déterminer ici le moteur du développement de la théorie, il faudrait le chercher à la fois du côté de la théorie des du problème de Dirichlet et du côté de la physique (théorie des champs). Il n’en est pas de même de la Théorie des groupes. Ici la théorie prend naissance au cœur d’un domaine abstrait (théorie générale des équations, théorie des substitutions, théorie générale des transformations). Elle permet d’unifier un grand nombre de domaines hétérogène dont l’élaboration théorique avait déjà atteint par elle-même un haut degré d’abstraction. Les axiomes de la théorie abstraite, dégagés comme structures communes des opération caractéristiques de ces domaines, ont trouvé ici à s’investir sur ces domaines, ont trouvé ici matière à s’investir au sein même de cette de la structure qu’ils permettent de caractériser. Dès l’instant où furent dégagés les axiomes de la théorie abstraite et que se détacha d’une manière explicite la structure du domaine dans lequel ils avaient à s’investir, la théorie n’eut plus à se développer en symbiose avec ses domaines originaires différents divers domaines d’origine. Arrivée à ce degré elle se développe pour elle-même, d’une manière autonome ; et le champ des problèmes qu’elle suscite dans son développement est, en lui-même, plus riche que celles ceux qui prirent naissance au sein des domaines originaires : à tel point, qu’ici, le retour à l’origine prit la forme d’une série de spécifications de la théorie abstraite, dont les exigences internes déterminaient le devenir. Alors que dans la Théorie du Potentiel le développement avait une forme cyclique, la théorie abstraite plongeant chaque fois dans ses origines pour y puiser sa matière, ici nous avons affaire à un développement de forme linéaire, la matière de la théorie, le champ de ses problèmes, étant suscités au niveau même de la plus haute abstraction. Il est manifeste d’autre part qu’une même théorie, prise à des moments différents de son devenir, se développe souvent d’une manière différente. Le développement de la théorie de l’intégration est-il autonome ? On ne peut répondre à une telle question d’une manière uniforme. Ce développement ne fut pas autonome à l’origine du calcul infinitésimal, et pendant une longue période qu’on peut clore avec l’œuvre de Riemann, bien que, à partir de Cauchy, pour reprendre l’expression de Léon Brunschvicg, l’analyse ait conquis son autonomie. La théorie de l’intégration fut alors, tout ce temps, étroitement solidaire, dans son progrès, du mouvement dont se trouvaient affectés ces divers domaines d’origine : calculs d’aires et de volumes, résolution des équations différentielles par quadrature, résolution de certaines équations aux dérivées partielles (cf. par exemple l’équation des cordes vibrantes). Par là son progrès de trouvait lié aux à la résolution des problèmes posés par la physique mathématique (cf. par exemple l’œuvre de Fourier) ; et cette liaison était explicite dans la conscience des chercheurs (cf. en particulier le mémoire de Riemann de 1854 consacré à la au problème, essentiel pour la physique mathématique, de la représentation d’une fonction arbitraire au moyen d’un développement en série de Fourier convergent). Mais il y eut un moment où le développement de la théorie devint autonome. On pourrait faire commencer à Lebesgue la conscience explicite de cette autonomie. Dès l’instant où fut posé, pour des fonctions arbitraires, et dans toute sa généralité le « problème de l’intégration », dès l’instant où se trouvèrent créés les instruments spécifiques d’analyse des fonctions les plus générales (théorie abstraite des ensembles), dès l’instant où furent jetées les bases de la théorie des espaces abstraits (spécialement avec l’œuvre de Hausdorff, la théorie des espaces topologiques), il devint possible de poser systématiquement le problème de l’extension de l’opération d’intégration et à des fonctions de plus en plus générales et à des domaines de plus en plus généraux. A partir de ce moment on peut dire que le moteur du développement de la théorie ne se trouve plus seulement à l’extérieur, dans les divers domaines plus ou moins individualisés de l’analyse, eux-mêmes liés, à travers des médiations complexes, aux sciences de la nature. A partir de ce moment le moteur est à rechercher essentiellement à l’intérieur de la théorie. On voit par là à quel point il serait téméraire de vouloir formuler des principes et forger des concepts valables pour tous les temps et tous les domaines. La forme prise par le développement des mathématiques dépend à la fois de la nature de leur liaison à l’environnement historique au sein duquel ces objets sont appelés à se développer. Elle dépend aussi de la manière dont s’organise, à travers cet environnement, la liaison interne de ces objets réciproque de ces divers objets en un champ de problèmes et de théories. C’est ainsi que ni les objets mathématiques, ni l’environnement historique de ces objets, ni leur organisation en un champ, ne furent les mêmes dans l’antiquité grecque et dans l’Europe du 18e siècle, par exemple. Mais la raison même qui nous porte à rejeter les concepts explicatifs a-historiques, nous pose l’exigence de rechercher s’il n’existe pas une méthode générale capable de nous faire découvrir, pour une théorie donnée, §5 Arrivés à ce point se posent quelques questions fondamentales concernant la théorie de la connaissance et qu’il est désormais impossible d’éluder. Ces questions se posent du fait même que nous avons à faire à des théories mathématiques et que nous cherchons leur mode de liaison à l’histoire, la manière dont est conditionné leur devenir. Or, nous posons ce problème pour des théories déjà faites élaborées, et nous saisissons leur rapport au passé à travers la structure qu’elles nous révèlent, dans le champ des problèmes qu’elles posent maintenant aujourd’hui. D’autre part nous avons indiqué dans la première section de cette introduction qu’une théorie mathématique est faite d’éléments hétérogènes, d’âges différents. De là cette conséquence que lorsque nous aurons à déterminer l’environnement historique d’une théorie il nous sera le plus souvent difficile de le tenter directement : il nous faudra la plupart du temps commencer par une analyse en profondeur de la théorie jusqu’à ce que nous trouvions les éléments qui en elle sont directement affectés par le mouvement de l’histoire, jusqu’à ce que nous trouvions le point d’insertion de cette théorie dans l’ensemble la totalité du devenir de l’histoire historique.