Catalogue OAI du consortium CAHIER

Desanti, Jean-Toussaint (1914-2002)

« L'identité de la lettre [...] »

Institut Desanti, ENS de Lyon
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L'identité de la lettre (désignée dans la boucle élémentaire [schéma]) est donc en écart relativement à elle-même. Cela veut dire qu'elle n'est jamais donnée comme un objet fixe, pour autant du moins qu'elle s'offre en un texte. Bien entendu, elle peut toujours en être arrachée et ramenée dans son support matériel, pure unité de la graphie. Il peut même arriver au lecteur d'éprouver quelque inquiétude à ce sujet. Mais en ce cas il ne dispose pas de la lettre : il la cherche. Disposer de la lettre c'est s'inscrire dans l'écart que désigne son identité.La circularité de K à Se trouve ainsi son germe dans l'identité de la lettre, qui est du même mouvement tracé et lecture. Là surgit à la fois la possibilité du texte et l'inscription du sujet. La lettre est sans cesse inaugurale : inaugurale du texte ; inaugurale du lecteur. Le lecteur minimal (1n) est la marque même qui se donne à lire. La marque minimale (1m) est le lecteur même qui s'inscrit au lieu de la marque. La lettre est l'unité substantielle de ces deux moments où leur écart survit en se consumant dans l'écriture, lecture du texte. Faut-il s'étonner dès lors que cette unité (l'identité de la lettre) ait à se déployer comme dualité et que cette dualité doive se manifester d'un seul côté : au pôle du sujet (1n) ? Seul le contraire serait étonnant : que le sujet demeure dans une unité fixe et rigide et laisse la marque en repos. Et de fait la double flèche exige qu'un sujet soit désigné deux fois et chaque fois comme autre. Le sujet ne peut se manifester en effet que dans l'écart que désigne l'identité de la lettre. Selon cet écrit il se montre divisé : une fois comme le sujet que désigne la marque, disponible sous un nom propre ou problématique (de quelle main à pu surgir cette instance d'une lettre ?) ; une autre comme le sujet qui "re-marque" (au sens propre) cela même qui est marqué. "Une fois", "une autre" - l'expression est impropre. C'est ensemble et dans l'identité de la lettre que ces deux déterminations se montrent et se répondent, dans l'unité d'un coup d'oeil. L'écart qui vit au coeur de cette identité était-il donc fondamentalement de nature à séparer un sujet d'un autre ? Il semble bien qu'il doive en être ainsi : un sujet autre s'indique dans la lettre pour un sujet, qui est aussi son autre.La lettre concerne à la fois qui la déchiffre et qui l'a marquée. Réciprocité dissymétrique du lecteur et du scripteur dans l'identité de la lettre ; telle est la dualité qui se déploie au pôle du sujet (1n). La double flèche ne peut désigner l'identité de la lettre qu'en signifiant l'exigence de ce déploiement : un écart avec son remplissement, c'est à dire la lecture même, reconnaissance dans la lettre de la double inscription du "lecteur" et du "scripteur", qui lui s'y est inscrit déjà comme un lecteur originaire. En son sens propre et premier 1n est toujours au passé, comme instance réalisée d'un sujet dans la lettre. Mais cette instance ne s'est offerte que pour un autre sujet.Ainsi nous vérifions que l'hypothèse faible de l' "espace plat" et de son dual "le sujet maigre" autorise l'usage que nous avons proposé de l'expression "effectuation d'un double mouvement de médiation" l'un noté P et l'autre Xp, mouvement qui a été présenté comme le dialogue fictif de deux personnages. L'usage de la forme "dialogique" n'était pas un simple artifice (un détour rhétorique utilisé pour faciliter l'expression, bien qu'il ait par surcroît rempli une telle fonction). L'exigence dialogique est inscrite dans la double flèche ([ ]) constitutive de l'instance de la lettre, comme marque remarquée. Comme espace des marques, l'espace plat exige donc le déploiement de son dual (le "sujet maigre") : que ce déploiement se manifeste d'abord comme surrection (c'est-à-dire comme remarque de la marque) veut dire que ce "sujet" répond à l'appel de l'autre sujet dont cette marque est le support visible. En y répondant il assume le risque de sa propre perte. Abandonné à l'espace des marques, il accepte d'abord de s'y effacer, comme si cet espace l'assiégeait de son excès. Mais dans cet effacement même il recouvre son identité, dont le germe était inscrit dans la double flèche ([ ]) c'est-à-dire au coeur du site textuel lui-même (noté "K"). A son tour la "composition" des médiations notée [ ] n'est rien d'autre que le déploiement du site textuel lui-même selon l'ordre de sa lettre : sa "lecture" comme il est dit. Dans ce déploiement le "sujet ponctuel" (1n) se perd dans son dual marqué (1m). Il y surgit à neuf tout aussi tôt : mais comme l'autre que soi. Ni la marque n'échappe à la lecture ni la lecture à la marque. Telle est la circularité du texte inscrite dans sa "lettre". Le couple [ ] se déploie sous la forme d'une bipolarité au sein de 1n lui-même : c'est le devenir lettre de la marque et le devenir "lecteur" du "sujet". [Ainsi celui qui croyait savoir (le maître de lecture) avait enfermé l'ignorant dans la bibliothèque. Sans doute la bibliothèque l'inquiétait-elle. Nous découvrons maintenant qu'il y avait enfermé son propre double : cette part de lui-même qui était la proie des marques.]Il est temps ici, peut-être, de marquer un temps d'arrêt. Moi qui viens d'écrire ces quelques pages, je me surprends en plein embarras. A vrai dire je les trouve bizarres ces histoires de "flèches", de "boucles", de "morphismes" d' "identités", ces notations qui miment, tant bien que mal, le langage des "catégories", tout cela me semble étrange. D'autant que je ne l'ai pas fait exprès : j'y ai été contraint par la forme du problème posé. Si bien que je me trouve dans la situation inconfortable d'être devenu moi-même le sujet ponctuel noté "1n), un "presque rien " en somme, un sujet réduit à n'être plus que le germe de sa propre exigence. Et pourtant n'est-ce pas l'infini même qui se montre au voisinage de zéro ? Conduit à ne paraître à mes propres yeux qu'à l'état d'un "presque rien", peut-être ne suis-je pas entièrement démuni. Peut-être la question qui m'avait inquiété au point de départ (qu'ai-je lu au juste ?) m'a-t-elle accompagné sans relâche jusqu'au point où son insistance m'a exténué : réduit à l'état de "dual de la marque".