Catalogue OAI du consortium CAHIER

Desanti, Jean-Toussaint (1914-2002)

Les mathématiques. Leur objet. Leur méthode. Leur rôle dans les diverses sciences

David Wittman (édition)
Institut Desanti, ENS de Lyon
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IntroductionL’opinion commune considère ordinairement les mathématiques comme la science qui a pour objet l’étude de la grandeur. Et de fait c’est là une idée qui se présente d’elle-même à l’esprit lorsqu’on récapitule le contenu des diverses « branches » des mathématiques telles qu’elles se présentent dans notre enseignement traditionnel. Ainsi l’arithmétique étudie la grandeur sous sa forme discontinue : le nombre. La géométrie l’étudie sous sa forme continue : l’espace. L’algèbre étudie les opérations qu’il est légitime d’effectuer sur des grandeurs quelconques, indépendamment des objets dans lesquels ces grandeurs peuvent se trouver et abstraction faite des valeurs particulières dont elles peuvent être affectées. L’analyse (appelée encore Théorie des fonctions) étudie les lois selon lesquelles les variations d’une grandeur d’une espèce donnée conditionnent les variations concomitantes d’une grandeur d’une autre espèce : ainsi l’espace parcouru par un mobile est relié par une certaine loi au temps que le mobile emploie à ce parcours ; ainsi le volume d’un gaz est liée par une certaine loi à la température de ce gaz ; et les variations de l’une de ces grandeurs entraînent dans chaque cas des variations déterminées dans l’autre : on dit de l’espace qu’il est fonction du temps, du volume qu’il est fonction de la température. L’analyse étudie les diverses sortes de fonctions en faisant abstraction de la nature particulière des grandeurs qui sont en relation. Par exemple en partant de la relation on laissera de côté le fait que est un espace, un temps et une vitesse, pour être attentif à la forme de la relation qui unité ces diverses grandeurs et qui est susceptible de caractériser les rapports entre des grandeurs d’une autre nature que le temps et l’espace. Enfin la mécanique rationnelle étudie les lois du mouvement abstraction faite de la qualité chimique) des corps en mouvement et des circonstances particulières dans lesquelles ce mouvement se produit. Elle caractérise le mouvement par des grandeurs et elle détermine les lois qui conditionnent leurs relations : temps, vitesse, inertie, accélération, force etc.Cette notion traditionnelle est loi d’être entièrement satisfaisante. Elle laisse de côté bien des aspects des mathématiques dans lesquelles les considérations métriques n’entrent pas d’une manière explicite (par exemple la symétrie, l’analysis situs ou la théorie des groupes). D’autre part elle introduit entre les diverses « branches » des mathématiques (arithmétique, algèbre, géométrie, analyse) des distinctions qui ne sont pas parfaitement fondées et qui sont davantage le fait de l’usage que l’expression de la nature des choses. Ainsi la distinction entre la géométrie et l’algèbre ne saurait être aussi tranchée. Car même la géométrie élémentaire n’est au fond qu’une espèce particulière d’algèbre : elle repose tout entière sur un certain nombre de transformations : translation, rotation, homothétie, inversion. Les propriétés qu’elle établit dans les êtres qu’elle définit sont une conséquence des lois caractéristiques de ces transformations – lesquelles sont définies rigoureusement dans une algèbre.[…]D’abord parce qu’il est hasardeux de vouloir donner de l’objet d’une science une définition qui soit absolument exhaustive et valable pour tous les temps. Au cours de son évolution une science s’enrichit d’objets nouveaux et son économie interne, le rapport de ces divers objets, leur importance réciproque, se modifient au fur et à mesure de cet enrichissement. Ainsi, en ce qui concerne les mathématiques, dans l’Antiquité, la géométrie, entendue comme connaissances des propriétés des figures, constituait leur noyau essentiel. Plus tard, à partir de Descartes, ce noyau fut constitué par l’algèbre. Au XVIIIe siècle, il fut constitué par le calcul infinitésimal. Du fait que le contenu des mathématiques s’enrichissait, leur notion se modifiait également et la définition que Leibniz, par exemple, fut appelé à donner des mathématiques était, dans cette mesure, différente de celle qu’en donna Platon. C’est pourquoi il nous paraît juste, au point de départ, de nous contenter d’une notion descriptive, même si elle reste empirique, et de caractériser les mathématiques par leur contenu, tel qu’il résulte de leur histoire et de la tradition.La grandeur sous toutes ses formes est l’objet naturel des mathématiques, c'est-à-dire à la fois, leur objet originaire et aussi l’aspect de la réalité objective que le mathématicien isole pour l’analyser et en saisir les lois constitutives. De plus, c’est à propos de problèmes posés par l’analyse des grandeurs et de leurs rapports qu’ont été découvertes les parties les plus abstraites des mathématiques, celles mêmes dans lesquelles il a fallu s’élever plus haut et concevoir des relations plus générales que les relations quantitatives. Ainsi par exemple la topologie générale qui, du moins dans son point de départ n’implique pas que les objets qu’elle définit soient des grandeurs, est issue en grande partie des exigences de rigueur posées par la théorie des fonctions, en particulier de la nécessité de définir d’une manière générale la notion de limite et l’opération de passage à la limite. Or, à l’origine, la notion de limite est inséparable de la notion de grandeur et elle a été définie d’abord sur des grandeurs, à l’aide de relations d’inégalité qui n’avaient de sens que pour des grandeurs. Ainsi lorsque dans les cours élémentaires d’algèbre on définit la dérivée de au point comme la limite, si elle existe, du rapport lorsque tend vers zéro par valeurs positives, on suppose que les objets , sont reliés les uns aux autres par des relations purement quantitatives, car sans cela une expression comme serait privée de sens. De même lorsqu’on définit le périmètre de la circonférence comme la limite vers laquelle tend le périmètre d’un polygone régulier inscrit dont on double indéfiniment le nombre des côtés, la définition n’a de sens qu’autant que l’on considère les deux objets (circonférence et polygone comme deux grandeurs, dont l’une, la circonférence, reste fixe, tandis que l’autre augmente continûment en restant astreinte à la condition d’être à chaque instant inférieure à la première.C’est sur la base de problèmes posés par l’analyse de tels rapports, à l’origine révélés par l’étude des grandeurs usuelles de la géométrie (notion de tangente), de la mécanique (notion de vitesse instantanée) de la théorie des fonctions (notion de dérivée) qu’il a fallu plus tard généraliser et définir des opérations capables de s’appliquer à un champs d’objets plus étendu que les grandeurs. Une observation du même genre pourrait être présentée à propos de la théorie des groupes laquelle concerne des objets abstraits et beaucoup plus généraux que les grandeurs. Pourtant elle aussi, à l’origine, est issue, en partie, de l’étude des opérations sur les grandeurs (problèmes posés par la résolution des équations algébriques, entre autres). Il en est de même de la théorie des ensembles, qui apparaît dans le dernier tiers du XIXe siècle comme un instrument d’analyse devenu indispensable en vue de l’étude des fonctions plus générales. Il en est ainsi de la plupart des découvertes les plus abstraites des mathématiques : leur origine, directe ou indirecte, est l’étude des phénomènes dont est le siège l’aspect quantitatif des choses, avec tout ce qu’il contient et engendre. A travers cet aspect c’est la nature elle-même qui se profile avec les problèmes qu’elle pose au physicien. A ce propos, il ne sera pas inutile de renvoyer à la préface que le mathématicien français René Baire (un des fondateurs de la théorie moderne des fonctions) écrivait en 1904 pour son ouvrage Leçons sur les fonctions discontinues. Voulant justifier la légitimité des recherches générales en Analyse lesquelles, « remontant aux définitions premières s’efforcent d’en tirer des conséquences intéressantes, tout en leur conservant autant que possible leur généralité », René Baire écrit :« On peut ainsi se proposer de constituer, à côté de l’Analyse courante, une autre branche de l’Analyse, qui, bien entendu, suivra de très loin la premières, en tant que quantités de résultats acquis, mais qui en revanche, aura l’avantage de fournir des énoncés plus complets »Et, s’interrogeant plus loin sur la portée de telles recherches, Baire ajoute :« Au point de vue des applications, il peut sembler prématuré de se demander si de telles considérations peuvent avoir quelque importance pratique. Cependant il est bien permis de remarquer que, dans l’interprétation mathématique des phénomènes naturels, on fait tour à tour, et en quelque sorte suivant les besoins de la cause, appel aux deux notions de continu et de discontinu. S’il est vrai par exemple qu’en Mécanique on suppose en général que les vitesses varient d’une manière continue, dans la théorie des chocs et des percussions, on raisonne comme si ces vitesses subissaient des variations brusques. Certaines théories de Physique, de Chimie, de Minéralogie, ne sont pas sans présenter quelque analogie avec le discontinu mathématique. Dans ces conditions le devoir du mathématicien n’est-il pas de commencer par étudier, in abstracto, les rapports de ces deux notions, continu et discontinu, qui, tout en s’opposant l’une à l’autre, son intimement liées entre elles ? … »Telles sont les raisons pour lesquelles nous conserverons, en commençant, la notion traditionnelle des mathématiques qui les présente comme science de la grandeur. Cette notion, bien qu’elle ne soit ni complète ni en tous points fidèle, est cependant conforme à la nature profonde des mathématiques, lesquelles sont nées de l’étude des grandeurs et se sont développées en généralisant les opérations qu’exigeait leur maniement rationnel.Ces quelques points étant précisés il nous reste à étudier les problèmes que posent les mathématiques au philosophe. Pour cela il importe de partir d’une analyse de la manière dont le mathématicien procède à l’égard des objets qu’il connaît. Les mathématiques constituent un mode de connaissance des objets. Quels sont les caractères de ce mode de connaissance ? Telle est la question que nous poserons en premier lieu.Première Leçon : Les caractères de la connaissance mathématiquePour mettre en évidence les traits fondamentaux de la connaissance mathématique partons d’un exemple simple. Nous avons appris à tracer des figures avant d’apprendre les rudiments de géométrie. Mais entre la figure telle que nous avons apprise à la dessiner et sa forme telle que la définit la géométrie, il existe une différence fondamentale. Soit deux triangles que je dessine au tableau. Du point de vue du dessin ce sont deux triangles différents : le trait peut ne pas avoir la même épaisseur. La couleur de la craie peut être différente. Ils ne sont pas perçus de la même manière sur le fond du tableau, l’un par exemple est éclairé, car il se trouve près de la fenêtre ; l’autre est à peine visible et se détache mal sur le fond du tableau. Et si je dessine un troisième triangle, il aura encore des caractères différents des deux premiers. Ces différences s’accentueraient, si au lieu de regarder les trois triangles, de loin, je les regardais de près à l’aide d’une forte loupe. Je verrais alors apparaître, de l’un à l’autre, des différences qualitatives dans le détail du dessin. Car ce trait de craie, qui vu de loin, me paraît continu, est en fait discontinu sur le tableau. Pourtant ces différences dans le dessin laissent intacte, ans le dessin lui-même, une identité fondamentale. C’est que chacune de ces figures tracées comprend trois droites et trois angles et que ces éléments sont liés les uns aux autres par une relation qui reste invariable lorsqu’on passe d’une figure à l’autre. Cette relation le géomètre la précise lorsqu’il énonce la propriété fondamentale du triangle : la somme de ses angles doit-être égale à deux droits.Restons attentifs à cette propriété et demandons nous : est-il possible de la lire directement sur la figure dessinée ? Il est clair que non. Pour la faire apparaître il est nécessaire d’oublier un instant cette figure que l’on a sous les yeux. Il faut la détruire en imagination, dissocier ses divers éléments, les comparer les uns aux autres de telle sorte que l’on puisse évaluer leurs rapports quantitatifs. A l’objet qui est au tableau et qui reste là, inerte, il faut en substituer un autre, idéal et plus mobile, sur lequel nous puissions opérer et dont la figure qui est au tableau n’est que la matérialisation provisoire. A ce moment nous commençons à dépasser le niveau du dessin. C’est toute l’expérience pratique que nous avons déjà du triangle en tant qu’objet susceptible d’être construit et utilisé pour construire des objets utilisables dans la pratique, qui devient alors l’objet réel de notre pensée, et la matière de nos réflexions. Et ce que nous recherchons c’est une loi qui nous permette de construire n’importe quel triangle à partir de ses éléments constitutifs et conformément à leur nature.C’est cette loi que le géomètre exprime lorsqu’il énonce que la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits. Or cette loi présente un double caractère. D’une part elle est abstraite et n’est rigoureusement exacte que pour un triangle abstrait : on ne peut la vérifier rigoureusement sur aucun triangle donné ou dessiné. Il est impossible de la voir directement dans les triangles tels qu’on les perçoit. D’autre part son exactitude rigoureuse est le fondement de toute pratique, de toute utilisation des propriétés du triangle, dans la pratique (par exemple en architecture). Et tout triangle réel, qu’il soit perçu ou non perçu, est construit conformément à cette loi.Ce que nous venons de dire du triangle est vrai de toutes les relations qui constituent notre connaissance de l’espace (distance, forme, mouvement). La connaissance qu’en acquiert le mathématicien diffère de la connaissance que nous en avons dans la pratique par son caractère abstrait et universel. Mais cette abstraction ne tourne pas le dos à la pratique, le monde de notre pratique étant conforme aux lois de la géométrie et de la mécanique rationnelle. Les relations entre les formes, les mouvements, les grandeurs mathématiques sont idéales. Cela veut dire qu’elles ne se présentent pas directement dans la perception et qu’elles exigent, pour être connues, un effort spécifique d’abstraction et de généralisation. Cela est vrai des notions les plus simples qui servent de base à tout l’édifice de la géométrie : la notion de ligne droite par exemple (une ligne telle que par deux points il n’en passe qu’une). Cela est vrai des opérations les plus simples de la géométrie (la translation par exemple). Il n’existe pas dans l’expérience quotidienne ni dans la pratique de droite qui soit rigoureusement et absolument conforme à sa définition. Il n’existe pas de corps qui reste absolument invariable lorsqu’on lui fait subir un déplacement par translation. Mais en même temps ces relations idéales constituent la loi de leur objet et la règle à laquelle doit se conformer toute pratique qui se propose de les transformer. Si vous niez la définition de la droite et si vous admettez la définition contraire (que par deux points il en passe plusieurs), c’est tout l’édifice de la géométrie qui se trouve transformé. Il vous sera difficile de vous servir de la notion de droite pour définir et construire les formes géométriques que vous rencontrez dans la pratique, et toute la cohérence que la pratique fait déjà apparaître dans les choses risquera d’être privée de fondement rationnel. C’est pourquoi la définition de la droite, en même temps qu’elle est idéale, se réfère à la réalité, et en donne une connaissance plus fidèle que la perception, plus exacte que celle qu’en fournit la pratique immédiate. C’est là le problème fondamental que pose la connaissance mathématique : elle contient une contradiction apparente. Pour découvrir les propriétés des objet il faut dépasser la perception de ces objets et souvent lui tourner le dos. Et cependant ces propriétés géométriques s’appliquent aux objets perçus et la rigueur avec laquelle nous les établissons assure à nos actions sur les choses un fondement d’autant plus solide qu’elle est plus exigeante.C’est ce double caractère qu’il faut comprendre. Mais pour cela il importe d’abord de le développer.I. Aspect idéal de la connaissance mathématiquePrécisons d’abord comment se manifeste l’aspect idéal de la connaissance mathématique. La connaissance mathématique concerne des objets : nombres, figures, fonctions, espaces etc. Elle énonce et démontre les propriétés de ces objets. Elle définit les opérations que l’on peut effectuer sur ces objets et sur leurs éléments constitutifs, énonce les lois caractéristiques de ces opérations. Ainsi l’arithmétique des nombres entiers positifs concerne des objets (les nombres naturels), définit les opérations possibles sur ces objets (addition, par exemple), énonce les lois de ces opérations (commutativité de l’addition par exemple), découvre et démontre les propriétés de ces objets (par exemple cette propriété que si et si est le successeur de et le successeur de , alors ).En quoi se manifeste le caractère idéal de cette connaissance ?D’abord par la généralité et l’universalité des objets auxquels elle s’applique, des opérations qu’elle définit.En second lieu par la précision rigoureuse qu’elle introduit dans les êtres qu’elle construit.En troisième lieu par le fait que les objets, les opérations et les propriétés énoncées sont reliées les uns aux autres en systèmes, la liaisons de ces objets à l’intérieur de ces systèmes étant entièrement déterminée par quelques principes généraux, les axiomes, lesquels définissent également la validité des opérations, leur champ d’application.Par le fait que le savoir mathématique une fois élaboré peut-être présenté sous forme de théorie, c'est-à-dire sous la forme d’un système de propositions logiquement construit tel que toute propriété des objets de la théorie est soit un axiome, soit une conséquence des axiomes.En résumé le caractère idéal des mathématiques se manifeste en ceci que toute connaissance mathématique est générale, universelle, précise, organisée, démontrable. Montrons le sur quelques exemples.1. La généralité et l’universalité de la connaissance mathématique montre son idéalité.Soit la proposition d’arithmétique . En quoi consiste sa généralité ? A) D’abord en ceci que 3 et 2 peuvent ici renvoyer à des objets quelconques. Les nombres 3 et2 sont abstraits et la relation d’égalité qui exprime leur somme est valable quelle que soit la nature des objets qu’ils dénombrent. L’expression de cette somme est en ce sens universelle car elle me fournit une règle que je peux appliquer à des objet particuliers, quels qu’ils soient.Réfléchissons à cette dernière idée : nous verrons que cette généralité n’a de sens que si la relation est idéale. Qu’elle soit valable quelle que soit la nature de l’objet dénombré cela veut dire qu’elle est susceptible de s’appliquer à une infinité d’objets, c'est-à-dire à une classe d’objets dont la seule propriété est d’être susceptible de dénombrement et qu’il m’est toujours possible d’enrichir à chaque instant en y incluant de nouveaux objets. S’il n’en était pas ainsi aucun calcul ne serait possible. Je saurais, par exemple, additionner 3 moutons et 2 moutons. Mais je me trouverais embarrassé pour additionner 3 chaises et 2 chaises. Je me trouverais dans l’impossibilité d’appliquer la même opération à des catégories d’objets qualitativement distinctes et l’expression ne pourrait acquérir aucun sens. Qu’elle ait un sens et permette le calcul cela veut dire que le domaine auquel elle s’applique est constitué par une classe indéfiniment extensible d’objets quelconques, dont la seule propriété commune est de pouvoir être dénombrés.Or la catégorie d’ « objet quelconque » n’est pas donnée en même temps que la perception, elle n’est pas donnée dans notre pratique immédiate : on peut même dire qu’il n’y a pas dans la nature « d’objet quelconque ». Dans la pratique nous avons toujours à faire à des objets particuliers, jamais à des objets indéterminés. Nous avons toujours à faire en pratique à des classes finies et délimitées d’objets, jamais à des classes infinies parfaitement extensibles.Retenons simplement pour l’instant cet aspect des mathématiques qui nous montre que l’universalité de leur application et la généralité de leurs propositions serait impossible sans le caractère idéal de leurs objets. Nous verrons plus loin quels problèmes pose ce caractère idéal.B) Un second aspect de la généralité peut être présenté de la manière suivante. Considérons encore l’expression . Je sais que je peux écrire également . Je sais que je peux écrire encore . Or ces relations sont générales. Elles ne seront pas valables seulement pour 2 et 5, mais aussi pour tout autre nombre. Et je peux écrire , quelques soient a, b, c (a, b, c étant, pour fixer les idées, des nombres entiers positifs).Réfléchissons à cette dernière idée et nous allons voir apparaître avec plus d’évidence encore le caractère idéal des relations mathématiques.L’expression « quelque soit a entier et positif » n’a pas de sens si on ne se réfère pas à l’ensemble, supposé indéfiniment extensible, des entiers positifs. Sans cela la loi d’associativité et de commutativité de l’addition ne serait valable que pour quelques nombres et serait privée de généralité. D’autre part cette expression implique que, dans cet ensemble, il nous soit toujours possible de distinguer un élément lui appartenant. Il faut que nous ayons toujours la possibilité de remplacer la lettre a par l’un quelconque des nombres appartenant à la suite infinie des entiers positifs : il faut par conséquent que nous soyons toujours capables de désigner un élément de cette suite.Il y a là au moins une opération qui n’a de sens que si l’on admet le caractère idéal de l’objet auquel elle s’applique.C’est l’opération qui consiste à considérer comme déterminée une collection infinie d’objets. Une collection est déterminée en effet s’il existe un critère objectif et univoque qui nous permette de décider sans ambiguïté si, un objet étant donné, il appartient ou n’appartient pas à la collection. Pour que cela soit possible il suffit de pouvoir énoncer une propriété, ou un ensemble de propriétés, commun à tous les objets de la collection. Mais encore faut-il pour cela que l’expression « tous les objets » ait un sens bien défini. Cette dernière circonstance se présente presque toujours dans l’expérience quotidienne dans laquelle nous n’avons à faire qu’à des collections finies, dont la pratique nous apprend à distinguer et à classer les éléments en fonction de leurs propriétés objectives. Par exemple l’ensemble des livres qui se trouvent sur ma table, l’ensemble des individus parlant français sont des collections finies, de telle sorte que je peux sans difficulté les désigner par cette expression équivalente : « tous les livres qui sont sur ma table », « tous les individus parlant français ». C’est cette possibilité où nous sommes de considérer comme définie la totalité des objets appartenant à de telles collections qui nous permet d’énoncer au sujet de ces objets des propriétés générales, valables pour chacun d’entre eux.Cette dernière exigence se présente aussi pour la suite infinie des entiers positifs : pour que l’expression « quelque soit a entier et positif » ait un sens, il faut que la classe des entiers positifs soit un tout parfaitement défini. C’est dire qu’il faut pouvoir penser comme un objet défini une totalité d’objets dont le propre est qu’elle ne peut jamais être achevée, jamais donnée en totalité : c’est ce qu’on peut exprimer en disant que la définition de cette totalité ne peut être qu’idéale.Ce caractère idéal se manifeste en ceci que la totalité des entiers positifs ne peut être définie qu’au moyen d’une loi permettant de construire leur suite infinie : et l’existence d’un nombre entier positif, quel qu’il soit, n’a de sens que si ce nombre est construit conformément à la loi permettant d’obtenir la suite des entiers. La loi définissant la totalité des entiers positifs peut se formuler de la manière suivante : « Si un système de nombres contenant 0 contient n et, alors il contient tout nombre entier positif ».L’expression « tout nombre entier positif », n’a pas d’autre sens que celui qui est précisé dans la loi. Elle n’a d’autre sens qu’idéal, en fonction des définitions elles-mêmes idéales, de zéro, de un et de la loi de succession qui détermine la suite des entiers positifs. Ainsi on voit qu’un théorème tel que ne peut être général que si le domaine des objets auquel il s’applique est idéal.C. Le développement des mathématiques apporte une confirmation à cette idée. Il nous montre que le progrès dans la généralisation s’est accompagné d’une idéalisation croissante des objets et des opérations. C’est ce que montre par exemple le développement de la connaissance des nombres. Au point de départ <il y a> les nombres concrets. <Nous avons déjà> une première généralisation, car il importe de laisser de côté les caractères qualitatifs des collections auxquelles on a à faire – et déjà une idéalisation car pour désigner quatre chaises, il faut opérer une comparaison entre collections d’espèces différentes et découvrir entre elles une relation d’équivalence qui ne se manifeste qu’à l’analyse. Compter c’est déjà savoir penser conceptuellement, c’est être capable de retenir dans des collections d’objets qualitativement différentes des relations qui permettent d’établir leur identité sous un certain rapport. A un plus haut niveau de généralisation, <nous avons> le nombre entier positif abstrait : lequel nous l’avons vu implique la loi idéale de constitution de la suite infinie des entiers. A partir de là, tout progrès dans la généralisation est obtenu au moyen d’un processus d’idéalisation. L’introduction des nombres fractionnaires, celle des nombres négatifs, celle des nombres irrationnels, celle des nombres imaginaires constituent autant d’étapes de la généralisation du nombre et des opérations sur les nombres.A chaque étape les éléments nouveaux définis se situent à un niveau d’idéalisation plus élevé que les éléments précédemment utilisés.Les nombres fractionnaires sont plus généraux que les nombres entiers ; car tout nombre entier peut être considéré comme un nombre fractionnaire, mais il existe des fractions irréductibles. Mais ils sont en même temps idéaux par rapport aux nombres entiers. La fraction par exemple peut être considérée comme l’indication d’une opération à effectuer sur les entiers 2 et 3. Mais elle est en même temps l’expression du résultat de cette opération, le nombre que l’on obtient en divisant 2 par 3. Il suffit en effet de multiplier par 3 pour obtenir 2. C’est pourquoi nous disons que l’existence de est idéale par rapport à 2 et 3. Car dire que existe c’est dire que la division de 2 par 3 est possible et que cette division obéit à la loi fondamentale de toute division (, a étant le dividende, b le diviseur et q le quotient). Ce que la définition des nombres fractionnaires ajoute aux nombres entiers c’est qu’elle permet de donner sa pleine extension à une opération définie sur des nombres entiers : la division. Les nombres fractionnaires n’ont d’existence qu’en fonction de cette exigence. Autrement dit, les nombre de la forme sont des opérateurs (ils définissent une opération sur a et b). Dire qu’il existent alors veut dire que l’opération qu’ils définissent est possible et compatible avec les lois fondamentales de l’arithmétique. C’est en cela que leur existence est idéale. Et l’on voit qu’ici, comme plus haut pour les lois de l’addition, l’idéalité rend possible la généralité. Car c’est à travers l’ensemble des nombres rationnels, positifs et négatifs, i.e. sur l’ensemble des nombres constitués par les nombres entiers et les nombres fractionnaires que sont possibles dans leur généralité, l’addition, la multiplication et les opérations inverses (soustraction, division). Les nombres rationnels sont le domaine idéal sur lequel sont définis les opérations directes et leurs inverses. Des remarques analogues pourraient être présentées à propos des généralisations qui ont conduit aux nombres négatifs, aux nombres irrationnels, aux nombres imaginaires.Bornons-nous aux nombres négatifs, dont la considération, est familière. L’existence de nombres inférieurs à zéro, ne peut être qu’idéale, car de tels nombres ne sauraient être donnés à proprement parler, pas plus que n’est donnée la suite infinie des entiers positifs. Mais il est nécessaire de définir de tels nombres dès que l’on se pose le problème de généraliser la soustraction ; dès que l’on se pose le problème de donner à cette opération la même généralité qu’à l’opération directe d’où elle est issue, l’addition (a et b étant positifs, définit un nombre négatif si b est supérieur à a). Cette exigence apparaît dès l’instant où l’on se pose le problème de déterminer des lois qui permettent de définir un calcul portant, par exemple, sur des avoirs et des dettes. Le zéro sert ici à désigner l’absence d’avoir et l’absence de dettes. Une dette est un avoir négatif. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que si un jour j’entre en possession d’une somme d’argent je devrai, pour déterminer la valeur de mon avoir, retrancher de cette somme la valeur de ma dette. C’est la nécessité d’avoir à réaliser cette opération future que je formule aujourd’hui en disant : « je possède moins que zéro ». Le caractère d’opérateur idéal du nombre négatif apparaît ici avec évidence : car maintenant que je ne possède rien, je ne peux effectivement rien retrancher de rien. Dire que je possède c’est une expression qui n’a de sens que dans le rapport qui me lie à mon créancier. Cela veut dire que ce rapport m’astreint à retrancher un jour 100 francs de mon avoir pour les attribuer à l’avoir de mon créancier. L’opération qui, vue de mon côté, est une soustraction virtuelle est une addition virtuelle vue du côté de mon créancier. C’est cette double virtualité qui est indiquée par l’expression qui, prise à la lettre, serait absurde. Ainsi si j’entre en possession d’une somme de 50 francs, je devrai l’attribuer à mon créancier et, je lui devrai encore 50 francs. C’est cette opération que je traduis en écrivant . J’ai retranché 100 francs de 50 francs ! Opération absurde si je la considère à part de la relation qui me lie à mon créancier. Mais opération fort rationnelle si je la considère dans ce rapport car elle signifie alors que je commence à régler mes comptes avec lui en lui attribuant . L’introduction du nombre négatif me permet ainsi de faire entrer dans mes calculs un élément virtuel, ma dette, et de traiter et élément virtuel selon les lois de l’arithmétique.Elle permet au calculateur de se placer indifféremment du point de vue du créancier et du point de vue du débiteur et d’unifier ces deux points de vues dans le même calcul : elle permet d’additionner les dettes et les avoirs, de les considérer comme des éléments homogènes les uns aux autres et de les déterminer les uns par rapport aux autres au moyen des mêmes lois de composition.Ainsi nous venons de voir, sur ces quelques exemples, que le caractère général et universel de la connaissance mathématique implique le caractère idéal des objet de cette connaissance ainsi que celle des opérations définies sur ces objets.La même exigence se présente pour les autres aspects de la connaissance mathématique, sa précision, son organisation, son caractère démontrable. Chacun de ces caractères ne peut se réaliser pleinement que dans un domaine idéal.2. La précision des objet mathématiques montre leur idéalitéLe caractère univoque des définitions est caractéristique des être mathématiques. Le cercle est le lieu des points équidistants d’un même point. Chaque point du cercle se trouve défini de cette manière. L’être mathématique est connu par son essence et cette essence l’individualise rigoureusement. La précision essentielle des êtres mathématiques apparaît avec évidence dans les problèmes de recherche de lieux géométriques ou encore dans les problèmes de construction. Ceux-ci consistent à mettre en évidence les propriétés suffisantes à caractériser sans ambiguïté un être dont on sait par avance qu’il est lié à d’autres au moyen d’une loi déterminée. Par exemple soit à construire un point équidistant de deux points donnés et situé à distance donnée d’une droite donnée (distincte de celle que déterminent les deux points). Construire un tel point c’est d’abord rendre explicite chacune des conditions qui le définissent. Tant que cet éclaircissement n’est pas apporté l’existence d’un tel point demeure hypothétique. La première condition veut dire que le point se trouve sur la perpendiculaire (D) élevée au milieu du segment (AB). La seconde condition veut dire que ce point se trouve situé sur la parallèle (D) à la droite (), passant par un point C situé à la distance d de (). Chacune de ces propositions considérées isolément ne nous apprend rien. C’est dès l’instant où nous montrons qu’elles peuvent être satisfaites ensemble que nous déterminons sans ambiguïté l’existence du point répondant aux conditions fixées. Mais pour cela la droite et le segment [AB] doivent eux-mêmes être liés par des conditions restrictives. Et il importe d’autant plus de recherche ces conditions que l’on exige plus de généralité dans la relation (que l’on cherchera à déterminer le point M quelque soit sa distance à la droite , laquelle peut prendre toutes les valeurs positives depuis zéro jusqu’à l’infini). Par exemple supposons que se trouve à distance finie et non nulle de M. Le point M est alors parfaitement individualisé par l’intersection de la parallèle D à menée par un point P situé à distance d de et de la médiatrice du segment [AB]. Mais ce point n’est individualisé dans le plan qu’à la condition restrictive que la droite et le segment [AB] ne soient pas perpendiculaires. Dans ce dernier cas le point M se trouverait rejeté à l’infini et il serait impossible de le désigner effectivement dans le plan. D’autre part, si nous supposons que se trouve à distance nulle de M, nous voyons tout l’intérêt qu’il y a à énoncer d’une manière explicite les conditions restrictives concernant les rapports réciproques du segment [AB] et de la droite . Car dans ce cas il existe un seul point répondant à la question si et [AB] ne sont pas perpendiculaires ; il en existe une infinité dans le cas contraire.On voit par cet exemple que le mot « exister », la proposition « il existe un point tel que » ont en mathématique, un sens beaucoup plus restreint que dans la vie quotidienne. L’existence d’un objet est, en mathématiques, parfaitement déterminée par l’intersection de deux ensembles eux-mêmes parfaitement déterminés par un système de propriétés caractéristique de leurs éléments (dans notre exemple l’ensemble des points situés sur la médiatrice du segment [AB] et l’ensemble des points situés sur une parallèle à la droite ).C’est dire que la précision n’y a de sens qu’à trois conditions :Que l’on puisse définir une propriété (ou un système de propriétés) commun aux éléments de chaque ensemble.Que l’on puisse montrer que l’intersection de ces ensembles (i.e. l’ensemble de leurs éléments communs) n’est pas vide d’éléments.Que l’on puisse construire effectivement cette intersection, c'est-à-dire mettre en évidence la structure qui le définit, la manière dont les propriétés communes aux ensembles originaires se composent dans l’ensemble produit et la manière dont ces lois de composition permettent de désigner d’une manière univoque un élément quelconque de cet ensemble.Le simple énoncé de ces conditions montre que la précision exigée des objets mathématiques ne peut être absolue que si elle est idéale. La première implique en effet la possibilité de définir sans ambiguïté l’appartenance d’un élément à un ensemble au moyen de l’énoncé d’une propriété (au moins) de cet élément. Ce qui implique l’usage de principes logiques dont la validité n’est pas le fruit d’une simple constatation, mais celui d’une élaboration rationnelle se situant à un haut niveau d’abstraction. Principe d’identité d’une part : chaque ensemble est équivalent à lui-même, et cette équivalence subsiste lorsqu’on définit des opérations (par exemple lorsqu’on construit leur intersection) à l’aide de ces ensembles. Principe du tiers exclu, d’autre part : Etant donné un ensemble d’objets défini au moyen de l’énoncé d’une propriété (A) (au moins), commune à ces objets, il n’existe pas d’objet qui puisse à la fois appartenir et ne pas appartenir à cet ensemble. Ce qui veut dire qu’un ensemble étant défini par la propriété (A) commune à ces éléments, ou bien un objet possède la propriété (A) et dans ce cas il appartient à l’ensemble, ou bien il ne la possède pas et dans ce cas il ne lui appartient pas. La seconde condition implique que l’on puisse montrer la compatibilité des propriétés définissant chacun des ensembles dont on veut construire l’intersection. Ce qui implique encore l’usage d’un principe rationnel : le principe de non contradiction, que l’on peut ici énoncer sous la forme suivante : étant donné les ensembles d’éléments E1, E2, … En définis respectivement au moyen des propriétés A1, A2, … An, la construction d’un ensemble E contenant les éléments communs aux En n’est possible que si l’attribution à un élément quelconque e de E d’une propriété An n’entraîne pas l’exclusion de e de l’un quelconque des En. C’est sous cette forme en effet que le principe de non contradiction est mis en œuvre dans les exemples que nous avons choisis (rechercher de lieux géométriques, détermination d’un point défini par des conditions données), lorsqu’on découvre la solution en supposant le problème résolu. Cette méthode consiste à supposer qu’il existe un ensemble tel que E, répondant aux données du problème et à rechercher quels sont les ensembles dont cet ensemble est l’intersection. Si de tels ensembles n’existent pas, ou si leurs propriétés sont contradictoires, le problème n’a pas de solution (l’ensemble E est vide). Quant à la troisième condition elle implique la possibilité d’individualiser un ensemble de points au moyen d’une loi permettant de construire ces points. Elle implique de plus la possibilité à partir d’une suite donnée d’ensembles, de construire un nouvel ensemble comprenant des éléments appartenant à chacun des ensembles de la suite. Possibilité qui peut toujours être réalisée lorsque (comme c’est le cas dans l’exemple cité plus haut, ou dans la plupart des problèmes de lieux géométriques définis par plusieurs conditions simultanées), la suite initiale d’ensembles ne comporte qu’un nombre fini d’éléments et que les propriétés des ensembles sont compatibles. Mais possibilité dont il faut justifier la validité lorsque la suite initiale comporte un nombre infini d’ensembles. Il importe dans ce cas en effet de pouvoir donner un sens précis à l’opération par laquelle on prend un élément (au moins) appartenant à chacun des ensembles de la suite. Or on ne peut donner de sens précis à cette opération sans concevoir la loi constitutive de cette suite elle-même et sans justifier au moyen de cette loi la possibilité de pouvoir effectuer une suite infinie d’opérations de choix compatibles entre elles.On voit ainsi que la précision qui appartient en propre aux objet mathématiques est de nature logique. Cela veut dire d’abord qu’elle exprime la relation des objets entre eux et que tout objet contient cette relation. Et cela veut dire aussi qu’il est exigé d’expliciter entièrement cette relation en mettant en évidence les opérations, compatibles entre elles, qui permettent de l’obtenir. La notion d’objet et la notion d’opération sont ici rigoureusement parallèles. Il n’y a pas d’opération mathématique qui ne définisse un objet (ou une classe d’objets). Un objet qu’aucune opération ne permettrait d’atteindre serait pour ainsi dire isolé, séparé des autres objets mathématiques, il n’aurait aucune existence dans le domaine des mathématiques, une opération qui ne définirait aucun objet serait gratuite, arbitraire et n’aurait aucun statut mathématique.Cette dernière remarque nous permet de comprendre le caractère distinctif des définitions mathématiques. En mathématiques, comme partout ailleurs, une définition n’a de valeur scientifique que si elle contient le concept de l’essence de l’objet défini. Mais en mathématiques l’essence d’un objet se trouve constituée par la loi de l’opération qui permet de l’atteindre. L’essence du nombre deux est l’égalité . L’essence du cercle est l’équation . Pour chacun de ces objets, leur essence consiste dans la loi nécessaire et universelle qui détermine le rapport interne de leurs éléments constitutifs. Les définir c’est énoncer cette essence, c’est exprimer ce rapport d’une manière explicite et univoque ; c’est mettre en évidence la loi de constitution de ces objets à partir de leurs éléments. C’est ce caractère que l’on exprime parfois (par abus de langue) en disant que la définition donne l’objet, que l’objet n’existe qu’en vertu de sa définition, ou encore que les définitions mathématiques sont constructives de leur objet. En fait l’objet mathématique n’est pas donné par sa définition : il lui préexiste. Mais il est pensé en elle conformément à l’essence qu’il contient et selon la loi de cette essence. Et c’est seulement au moment où il est ainsi pensé qu’il peut être utilisé au moyen d’opérations rationnelles et devenir l’objet d’une connaissance mathématique. La connaissance de l’essence de l’objet, la désignation de cette essence au moyen d’une expression univoque, déploie dans l’objet la logique qu’il contient, son rapport nécessaire à soi-même et aux autres, et permet alors de le saisir dans sa loi de constitution. C’est ce mouvement de détermination et de désignation de l’essence qui est proprement la « construction » de l’objet et qui constitue sa définition.On voit par là que la précision caractéristique des être mathématiques (le caractère univoque de leur définition) n’a de sens que dans le domaine idéal au sein duquel ces êtres sont pensés universellement dans leurs rapports réciproques. Ce qui nous conduit à étudier le mode d’organisation des objets mathématiques, dans ce domaine idéal et, par là même le caractère démontrable des vérités mathématiques. Nous y trouverons une nouvelle confirmation de leur idéalité.