Catalogue OAI du consortium CAHIER

Charles Joseph Panckoucke

Lettre de Charles Joseph Panckoucke à Marc Michel Rey

1770
2017
Bahier-Porte, Christelle (édition)
Vial, Fabienne (édition)
Université Jean Monnet

Paris, 26 octobre 1770 Monsieur, L’objet de cette lettre sera très important, je vous prie en la lisant d’y apporter toute votre attention. Vous n’ignoréz pas que j’ai acquis il y a environ 18 mois avec M. Desaint et un papetier de Paris nommé M. Chauchat tous les droits et cuivres de l’Encyclopédie . M. Desaint et Chauchat ne firent cette acquisition parce qu’il crurent que le gouvernement permettroit la refonte de louvrage en supprimant les articles qui avoient pu deplaire nous sollicitames cette permission six mois de suite sans pouvoir l’obtenir. Le gouvernement craignit de la part du clergé des difficultés plus grandes qu’en permettant la reimpression tacite de l’ouvrage tel qu’il existe. On permit donc la reimpression de l’ouvrage, M. Desaint et Chauchat dans la crainte de deplaire à des parens devots et livrés eux mêmes à des prejuges religieux ne voulurent pas y prendre interet. Je me vis obligé pour abreger les difficultés d’acheter leurs parts que je vendis ensuite à de nouveaux associés. On imprima les trois premiers volumes, on alloit les mettre en vente avec un volume de planches lorsque l’assemblée du clergé eut lieu. On [2] porta des plaintes au Roy les trois volumes furent mis à la Bastille. Comme la première edition fut saisie cinq à six fois nous ne fumes pas plus inquiets. Cependant pour éviter toute tracasserie à l’avenir et d’après de sages conseils que des magistrats même nous donnerent, on prit la resolution de faire imprimer au dehors, car la libre circulation dans les provinces n’a jamais été aretée elle n’a souffert d’obstacle que dans la capitale. Je fis donc un voyage à Geneve ; je pris des arangemens avec Mr Detournes et Cramer . Je fis faire des fontes icy tres considerables et au moment où ces fontes alloient partir, ou l’on se disposoit à imprimer j’apprend que le clergé de cette ville encore plus imbecile que le notre veut faire naitre des difficultés à l’execution de cette entreprise et que les troubles qui agitent Genève depuis longtems pouvoient encore y mettre des entraves. Je considere d’ailleurs que nous ne pouvons obtenir nos prisonniers sans argent, que ceux qui travaillent à obtenir leur elargissement demandent une somme assés considerable, car dans ces sortes de cas, c’est toujours de l’argent, Monsieur, qui tiré les malheureux d’embaras. Je considere encore que l’édition de Felice paroit ou va paroitre, qu’il peut y avoir des corections bonnes et mauvaises dont il seroit possible de faire usage, que nous avons actuellement vingt hommes celebres occupés de nos Suplements , qu’on [3] pouroit tirer de tout cela un très grand parti en faisant quelques sacrifices. Rassemblant donc et combinant toutes ces idées, voici ce que je projette et ce que je vous propose 1° de sacrifier et mettre à la rame les trois volumes qui sont à la Bastille 2° de refondre l’ouvrage en entier en profitant des materiaux de tous nos suplements qui pourront fournir quatre à cinq volumes 3° de tirer cette édition d’abord à 2150 ex. 4° d’imprimer en meme tems des Suplements pour ceux qui ont l’ancienne édition à 4000 on a tiré de cette édition 4550 ex 5° M. Robinet qui vous est connu et qui jouit icy de l’estime generale seroit l’editeur de la refonte nous l’avons choisi pour nos Suplements 6° cette refonte se feroit à Bouillon, residence de M. Robinet et de M. Rousseau aujourdhuy associé d’un sixième à l’Encyclopedie par la cession que je lui en ai faite. Vous savés sans doute, Monsieur, que M. Rousseau jouit aujourdhuy de plus de 40 mille livres de rente pour ses journaux et qu’il a en outre en bien fonds une fortune très considérable. Vous jugés encore de quelle utilité il peut etre dans cette entreprise par les journaux et vous verrés comment M. Felice y sera incessamment traité. 7° on annonceroit cette refonte pour les premiers jours de janvier et on y [4] dirait surtout que tout ce qu’il y aura de bon et d’utile dans l’edition de Felice et de Lucques y sera inséré etc 8° pour faire tomber à plat cette edition de Felice, on annonceroit que ceux qui ont souscrit seroient admis à souscire à notre édition et qu’on leur tiendroit compte de l’avance de douze livres sur la premiere livraison. 9° les materiaux vous seroient renvoyés à Bouillon bien en ordre et sur l’exemplaire imprimé, l’édition se feroit à Amsterdam sous vos yeux ou de vos proposés. 10° je vous enverai de Paris les caracteres il y en a quatre milliers tout prets 11° on pouroit actuellement mettre en vente le premier volume de planches il est tout pret son execution est de toute beauté. Comme ces planches ont été très menagées et qu’elles sont retouchées au burin par d’habiles artistes j’ose vous assurer quelles sont superieures peut être à l’ancienne édition. Voilà je pense, Monsieur, un très beau projet, plus sensé que celui de reimprimer l’ouvrage tel qu’il est. J’avoue que ces trois volumes imprimés sont pour les associés une perte d’environ 45 mille livres, mais ils peuvent le regagner aisement par cette refonte qui devant naturellement avoir plus de succés doit rendre plus de benefice. Cette entreprise ayant lieu en Hollande, le public y aura la plus grande confiance. Tous les savans de l’Europe, toutes les Academies de France et étrangère s’empresseront de vous envoyer de bons matériaux il ne faudra [5] point se permettre aucune hardiesse impie qui puisse effrayer les magistrats, au contraire il faudra que tout l’ouvrage soit ecrit avec beaucoup de sagesse, de moderation, qu’il puisse meme meriter les encouragemens de votre gouvernement. L’Encyclopedie qui doit comprendre la science universelle sera toujours le premier livre et je ne doute nullement que nous ne fussions obligés aprés la premiere livraison de tirer au meme nombre qu’on a tiré la premiere édition. Je vous ai exposé Monsieur, mon plan, je vais maintenant vous faire mes propositions. Nous sommes actuellement six associés, trois à Paris, M. Rousseau à Bouillon et M. Cramer et Detournes à Geneve, si on imprime pas dans cette derniere ville comme il paroit que cela n’aura pas lieu je rentre dans tous mes droits de ces deux sixieme et j’en puis disposer et les vendre comme bon me semblera. Telle est la loi et les traités. J’offre donc Monsieur de vous mettre en lieu et place de Mrs Cramer et Detourne, de faire avec vous le traité que j’ay fait avec eux et dont je joins icy copie. Si l’acquisition de ce tiers vous paroit un objet trop considerable comme en effet il peut l’etre, il faut interesser avec vous Mrs Arké , Merkus , Chatelain ou tels autres libraires en particulier qui seront plus à votre convenance. C’est icy une affaire d’argent, de finance ou tout le monde peut s’interesser. Vous verés que sur une édition de deux mille il y a bien six cent mille livres net à gagner sans compter le benefice des Suplemens. [6] Je desire que mes propositions vous agréent. Vous ne serez jamais entré dans une entreprise plus grande, ny plus profitable, j’aimerois beaucoup que M. Arké et Chatelain fussent associés, cela donneroit une grande consideration à l’entreprise. Vous avés la preponderance de tout le commerce de la librairie de la Hollande et du nord. La confiance seroit extreme dans des associés tels que vous et dont Felice trembleroit dans son galetas. Je suis persuadé qu’il faudroit tirer a quatre mille des que le premier volume auroit mis en vente. Si vous n’agrées pas mes propositions, je vous en demande au moins le secret vous etes un galant homme en qui j’ai toute confiance. Si vous l’agrées nous pouvons terminer de loin comme de prés renvoyés moi le traité signé et sur le champ nous mettrons la main à l’ouvrage. Je vous expedierai les caractères vous annoncerés le premier volume et avant le mois de juin 1771, le 1er volume de Discours et le 2e de Planches sera en vente. Nous ferons de la terre le fossé. Les premières rentrées qui seront tres considerables serviront à payer les frais d’impression et vos billets. Faites attention que le premier volume de planches tiré à mille est compris dans les frais de l’acquisition ainsy que les retouches du tome 2e et 3e. Si vous parlés Monsieur de cette affaire à Mrs Chatelain ou Merkus ou tout autre je vous prie d’exiger d’eux également le secret. J’ay l’honneur d’etre avec un sincère attachement / Monsieur / votre tres humble et / obeissant serviteur C. Panckoucke Paris ce 26 8 bre 1770